Ischémies artérielles de la rétine

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  Auteur(s) : Dr Shanan Khairi
  Date de dernière édition : 24/09/2024

Une ischémie artérielle rétinienne ou "accident vasculaire rétinien artériel" consiste en une souffrance rétinienne aiguë induite par une diminution brutale et critique de l'apport en oxygène. Elle se traduit par une diminution brutale et profonde de l'acuité visuelle, habituellement unilatérale.

Qu'elle soit ou non spontanément résolutive, il s'agit d'une urgence médicale. Si la perfusion est rapidement rétablie, le phénomène peut ne pas entrainer de lésion rétinienne définitive (AIT = accident ischémique transitoire). Dans le cas contraire, habituellement, au-delà de 6 heures, la persistance d'un déficit visuel est inévitable. La prise en charge thérapeutique de l'événement étant mal codifiée et réputée peu efficace, l'urgence se situe principalement dans la réalisation rapide d'un bilan étiologique afin d'éviter la survenue d'une récidive homo ou contro-latérale ou la survenue d'un accident vasculaire cérébral ischémique artériel.

A noter que, particulièrement dans le monde francophone, il existe une confusion fréquente avec la "cécité monoculaire transitoire" (diminution brutale, unilatérale et transitoire de l'acuité visuelle, quelqu'en soit l'origine) et "l'amaurose fugace" (diminution brutale et transitoire de l'acuité visuelle, uni ou bilatérale, quelqu'en soit l'origine).

Nous excluons de notre propos les ischémies artério-veineuses de la rétine et du nerf optique secondaires à une élévation brutale de la tension intra-oculaire (glaucome aigu).

Etiologies et éléments de physiopathogénie

La rétine est vascularisée par l'artère centrale de la rétine (qui nait de l'artère ophtalmique assurant l'irrigation de l'ensemble du globe oculaire et de la tête du nerf optique) et ses branches. Il n'y a pas de collatérale.

Les principaux mécanismes d'interruption de la circulation sont emboliques (++ en cas d'amaurose fugace) et thrombotiques in-situ (++ en cas de déficit durable). Plus rarement le mécanisme peut être hémodynamique (++ amauroses fugaces bilatérales).

Etiologies :

  • Occlusions emboliques de l'artère centrale de la rétine ou de ses branches :
  • Thromboses locales :
    • L'athéromatose est la cause nettement prédominante
    • Rarement :
      • Artérites inflammatoires (ex: Horton) et infectieuses
      • Troubles hématologiques : syndrome d'hyperviscosité sanguine (gammapathie ?), hypercoagulabilités (syndromes myéloprolifératifs, drépanocytose, syndrome des anticorps antiphospholipides,…?)
  • Hémodynamique (rare):
    • Bas débits cardiaques, hypotensions profondes, dissections carotidiennes sténosantes, spasmes carotidiens, vol vasculaire (ex : sur malformations artério-veineuses de branches terminales de la carotide interne),....
    • Une circulation préalablement comprise par l'existence d'une carotide interne homolatérale sévèrement sténosée ou occluse est évidemment un facteur prédisposant
  • Spasmes de l'artère centrale de la rétine ou de ses branches (exceptionnels, généralement idiopathiques mais penser à une cause toxique ou iatrogène)
  • Idiopathiques (pas d'étiologie retrouvée)

Clinique

Deux tableaux cliniques sont possibles :

  • Accident ischémique rétinien transitoire :
    • Diminution brutale transitoire de l'acuité visuelle (amaurose fugace), habituellement unilatérale
      • Peut concerner l'ensemble du champs visuel (occlusion de l'artère centrale de la rétine) ou un secteur
      • Habituellement la cécité est complète. Plus rarement, il peut s'agir d'un "flou visuel" ou d'un "voile occultant")
      • Résolution spontanée en quelques secondes à quelques minutes (plus rarement quelques heures)
      • Les épisodes peuvent se répéter, y compris à l'oeil contro-latéral
    • Si le patient est examiné durant l'épisode, on peut parfois observer une mydriase de l'oeil atteint ou un déficit afférent pupillaire (phénomène de Marcus Gunn)
  • Accident ischémique rétinien installé :
    • Diminution brutale et durable de l'acuité visuelle
      • Peut concerner l'ensemble du champs visuel (occlusion de l'artère centrale de la rétine) ou un secteur
      • Habituellement la cécité est complète. Plus rarement, il peut s'agir d'un "flou visuel" ou d'un "voile occultant")
    • La présence d'une mydriase aréactive de l'oeil atteint ou un déficit afférent pupillaire est la règle
  • Eventuelle présence de phénomènes visuels positifs (sensations visuelles colorées ou photopsies).

Divers symptômes et signes d'accompagnement sont possibles et sont à rechercher, guidant l'orientation étiologique et la prise en charge :

  • Présence ou notion de déficits focaux transitoires ou installés suggérant un accident vasculaire cérébral
    • Origine embolique ? Vasculite ? Hémodynamique ?
  • L'association à des céphalées, algies faciales, cervicalgies homolatérales ou un signe de Claude-Bernard-Horner doit faire exclure une dissection de la carotide interne
  • Si > 50 ans, épisodes répétés sur un court laps de temps, céphalée-facialgie, dégradation de l'état général, paralysie oculomotrice, claudication intermittente de la mâchoire ou notion de pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR)exclure maladie de Horton
  • La survenue des épisodes (exceptionnellement bilatéraux) au passage à l'orthostatisme, à l'exercice physique, à l'exposition à la lumière vive ou aux repas suggère un mécanisme hémodynamique (++ sténose serrée de la carotide interne).
  • Recherche d'arguments pour une endocardite (fièvre, dégradation de l'état général, emboles périphériques,...), une arythmie cardiaque (palpitations, syncopes et équivalents syncopaux), un infarctus myocardique ou une cardiomyopathie emboligène, une valvulopathie, une sténose serrée carotidienne,....

Examens complémentaires

Le bilan doit évidemment tenir compte de l'age, des co-morbidités et de l'autonomie du patient. Est-il vraiment raisonnable de réaliser des examens rares et onéreux ou meme d'hospitaliser un patient dément institutionnalisé ?

Examens complémentaires en urgence

  • Glycémie au doigt dès que possible
  • Biologie (hématogramme-CRP, ionogramme, fonctions rénale et hépatique, coagulation, troponines et pro-BNP + VS systématique si > 50 ans)
  • Electrocardiogramme
  • Avis ophtalmologique avec réalisation d'un Fonds d'Oeil (FO) et d'une angiographie rétinienne :
    • Ces examens peuvent etre normaux en cas de reperméabilisation artérielle spontanée
    • Sinon, on peut observer :
      • fonds d'oeil pale, oedémateux avec une macula dont la vascularisation préservée ressort (vascularisation choroïdienne)
      • raréfaction artérielle
      • visualisation d'un embole, signes d'athérosclérose, spasme artériel (exceptionnel)
    • Eventuels arguments pour une étiologie ou un diagnostic différentiel
  • Imagerie cérébrale et des vaisseaux du cou
    • Angio-IRM avec séquences de diffusion / perfusion = l'idéal
    • A défaut : angio-CT-scanner +- échographie doppler des vaisseaux du cou
  • Echographie cardiaque  trans-thoracique
  • Echographie doppler des membres inférieurs en cas de suspicion clinique de thrombose veineuse des membres inférieurs ou de foramen ovale perméable

Examens complémentaires dans un second temps

  • Complément de biologie : lipides, Hb glyquée, sérologies HIV - syphilis - Lyme
    • + bilan d'hypercoagulabilité et auto-immun en cas de patient < 50 ans ou de suspicion clinique
  • Echographie cardiaque trans-oesophagienne en cas d'échographie trans-thoracique négative et de patient < 50 ans ou de haute suspicion cardio-embolique
  • Angio-IRM et échographie doppler des vaisseaux du cou si non déjà réalisés
  • Holter de tension artérielle et de rythme cardiaque en ambulatoire

Diagnostics différentiels

Dans le cas d'un déficit bref, le diagnostic différentiel est celui d'une amaurose fugace. Il regroupe principalement les  hypertensions intracraniennes, les ischémies de la tete du nerf optique et le Horton, le glaucome intermittent, les migraines ophtalmiques et les ischémies veineuses transitoires.

Dans le cas d'un déficit installé, le diagnostic différentiel est celui d'une diminution brutale et durable de l'acuité visuelle. Il regroupe principalement les thromboses de la veine cenntrale de la rétine, le décollement de rétine, les hémorragies vitréennes, les névrites optiques, les maculopathies aiguës et le glaucome aigu.

Dans tous les cas, le diagnostic est aisé sur base de l'avis ophtalmologique avec une bonne anamnèse et un Fonds d'Oeil.

Pronostic spontané

De manière générale, la survenue d'une ischémie rétinienne marque un risque de survenue d'accident vasculaire cérébral de 8%/ an et majore la mortalité cardio-vasculaire (mortalité de 20 à 30% à 5 ans. En cas d'amaurose fugace, le risque de survenue d'une cécité définitive par infarctus rétinien est de 3%/ an. En cas de déficit installé, il est généralement définitif.

Le cas des patients jeunes

Les patients de moins de 50 ans doivent bénéficier d'un bilan étiologique extensif systématique (angio-IRM cérébrale, échographie transoesophagienne, recherche de syndromes d'hypercoagulabilité et de pathologies systémiques,...).

Après réalisation d'un bilan complet, il est cependant fréquent de ne retrouver aucune étiologie. Ce groupe de patients a un pronostic très favorable (faible taux de récidive, d'accident vasculaire cérébral ou d'incident cardiaque).

Prise en charge thérapeutique - traitements

Il y a peu d'evidence quant à la prise en charge des ischémies rétiniennes et celle-ci est généralement inspirée de celles des AVC. La prise en charge ne vise pas à récupérer un déficit installé, ce qui est de règle illusoire, mais à prévenir des récidives homolatérales ou controlatérales ou des incidents vasculaires cérébraux, cardiaques ou périphériques.

  • Hospitalisation pour accélérer le bilan étiologique
  • Il n'y a pas d'evidence quant à la thrombolyse
    • Si une thrombolyse est envisagée, la réserver aux patients jeunes, obtenir impérativement le consentement écrit du patient, respecter strictement les contre-indications des fibrinolytiques, ne la réaliser que sur avis ophtalmologique et préférer la voie intra-artérielle locale à la voie intra-veineuse
  • De meme, l'instauration d'un vasodilatateur en aigu est controversée... mais est à envisager au vu de leur relative inocuité
  • Traitement étiologique en cas d'étiologie particulière présumée (ex : antibiothérapie en cas d'endocardite, corticothérapie en cas de Horton, stenting en cas d'infarctus myocardique,....)
  • Envisager une anticoagulation à doses thérapeutiques en cas de fibrillation ou flutter auriculaire, de cardiopathie emboligène, de thrombose veineuse des membres inférieurs, valvulopathie emboligène, dissection carotidienne, sténose carotidienne sub-occlusive, amauroses fugaces répétées ou co-existences avec des lésions ischémiques cérébrales récentes,...
  • En cas d'absence d'indication d'anticoagulation ou d'étioilogie particulière, présumer une origine athéromateuse et instaurer une antiagrégation plaquettaire (acide acétylsalicylique 160 mg/ jour +- dipyridamole 3 x 75 mg/ jour), un hypocholestérolémiant (atorvastatine 80 mg/ jour) et un anti-hypertenseur (ex : indapamide)
  • De manière générale : dépistage et controle des facteurs de risque cardio-vasculaire et arrêt de tout éthylo-tabagisme

NB : modifier la prise en charge de manière appropriée en cas d'embolie cérébrale ou périphérique concomitante.