Démences - généralités

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Les syndromes démentiels sont définis par l'atteinte de plusieurs facultés mentales complexes (mémoire, cognition, langage, orientation, personnalité,…) d'apparition progressive et entravant l'autonomie dans la vie quotidienne. Leur prévalence est directement proportionnelle à l'âge. Ainsi, s'ils ne touchent que 3 à 5% de la populations générale, ils concernent 10% des sujets de plus de 65 ans et plus de 15% des sujets de plus de 80 ans. Ils sont devenus une cause majeure de morbidité dans les pays développés et un enjeu tant de santé publique que social.

A noter cependant que des plaintes mnésiques isolées (concernant plus de la moitié des plus de 50 ans et fréquents même chez les plus jeunes) sans répercussion notable sur les activités quotidiennes sont banales, aspécifiques et généralement sans caractère pathologique.

Données épidémiologiques et étiologies

10% des patients âgés de plus de 65 ans sont déments. La première cause est la maladie d'Alzheimer (50 à 60% des cas) devant les démences vasculaires (15 à 30% des cas) et la maladie à corps de Lewy (15 à 20% des cas). 10 à 20% des démences sont mixtes (mêlant le plus fréquemment une démence d'étiologie dégénérative et une démence vasculaire).

Les principaux autres syndromes démentiels d'origine dégénérative sont : atrophie multisystématisée, maladie de Huntington, démences frontales, paralysie supra-nucléaire, démences associées aux scléroses latérales amyotrophiques et à la maladie de Parkinson.

Les principaux autres syndromes démentiels d'origine non dégénérative sont : démence éthylique, infections ou séquelles d'infections du système nerveux central, séquelles traumatiques, tumeurs cérébrales, hydrocéphalies, pathologies endocriniennes, pathologies inflammatoires neurologiques ou systémiques,...

Le terme de "pseudo-démence" est généralement limité à la désignation de troubles psychiatriques pouvant mimer un syndrome démentiel (principalement les troubles anxio-dépressifs). Certains y incluent également d'autres syndromes susceptibles d'être confondus avec une démence (confusion, encéphalopathies réversibles ou certaines des pathologies précitées telles que les endocrinopathies ou les pathologies inflammatoires systémiques...).

Jusqu'à 90% des démences sont réputées irréversibles et jusqu'à 70% non accessibles à un traitement autre que purement symptomatique. L'essentiel de la démarche consistera néanmoins à éliminer les formes accessibles à un traitement étiologique, pour stopper, freiner ou plus rarement renverser leur évolution.

Les formes débutantes peuvent se confondre avec le vieillissement physiologique ou le "Mild Cognitive Impairment".

Ces chiffres sont cependant à relativiser de par la fréquente incertitude diagnostique (de nombreux diagnostics sont cliniques et d'exclusion, ne pouvant être confirmés que par une biopsie ou une autopsie). Les incidences des démences éthyliques et des démences mixtes seraient ainsi largement sous-estimées...

Syndromes démentiels et leurs diagnostics différentiels - principales étiologies
"Pseudo-démences"

Bilan diagnostique

Buts principaux devant un syndrome démentiel :

  • Exclure rapidement les diagnostics différentiels ("pseudo-démences")
  • Exclure les syndromes démentiels accessibles à un traitement étiologique. Aucun moyen ne doit être épargné dans ce but. Tout syndrome démentiel d'évolution (sub)-aiguë inexpliqué doit faire envisager une hospitalisation pour mise au point rapide.

Les examens visant à sous-catégoriser des démences dégénératives, dont le diagnostic reste principalement clinique et d'exclusion, n'ont un intérêt qu'académique et ne semblent pas justifiables en routine clinique (absence de traitement autre que symptomatique + coût pour des patients souvent précarisés ! → uniquement dans le cadre d'études financées !).

Démarche clinique

  • Age, facteurs de risque et antécédents (hypertension artérielle, tabac, alcool, diabète, trauma crânien, dépression, pathologies systémiques, antécédents familiaux de pathologies neurologiques,…), médicaments
  • Symptômes: troubles mnésiques (à préciser car notion fourre-tout), du comportement ou de l'humeur, difficulté à utiliser un appareillage nouveau ou acquis, limitation des activités quotidiennes, désorientation, troubles du langage, épisodes confusionnels, hallucinations, idées délirantes,… Anamnèse du patient et de ses proches
  • Recherche d'autres signes neurologiques
  • Recherche d'épisodes confusionnels répétés lors de situations de stress somatique ou psychologique
  • Évaluer le degré d'autonomie et dépendance dans la vie quotidienne
  • Evaluation des facultés mentales, autonomie, humeur (MMS, IADL, GDS,…) +- consultation neuropsychologique

Eléments de 1ère orientation sur base du MMS et de l'IADL :

Principales échelles d'évaluation utiles en routine clinique

Les tests rapides d'évaluation cognitive ne remplacent en aucun cas une évaluation neuropsychologique (meilleures sensibilité et spécificité, établissement de patterns syndromiques) en cas de démences légères à modérées. Ils sont cependant utiles comme instruments de dépistage (pour maximiser la sensibilité : utilisation de la MoCA seule ou du MMS combiné à une BREF. La mini-Cog seule, très rapide, est particulièrement utile en médecine générale comme dépistage systématique des personnes âgée). En cas de suspicion de troubles cognitifs, une évaluation de l'autonomie (sa dégradation constituant un critère nécessaire pour un diagnostic de démence) et des affects (diagnostic différentiel) est indispensable.

Montreal Cognitive Assessment (MoCA) et dépistage des troubles cognitifs

La MoCA est le test d'évaluation rapide le plus sensible et évaluant le plus largement (attention, concentration, fonctions exécutives, mémoire, langage, capacités visuo-constructives, abstraction, calcul, orientation) les fonctions cognitives.

Un score < 26 (25 si niveau culturel < 3 = diplôme primaire ou CEP) est considéré comme anormal.

Montreal Cognitive Assessment (MOCA)

Mini Mental State (MMS) et dépistage des troubles cognitifs

Le MMS reste le test d'évaluation rapide le plus utilisé (raisons historiques et implications légales). Il est particulièrement sensible pour dépister les troubles à prédominance mnésique (dont l'archétype est la maladie d'Alzheimer) mais médiocre pour les troubles à prédominance frontale (démences fronto-temporales, encéphalopathies à HIV, tumeurs frontales,...). Globalement, toutes démences confondues, sa sensibilité à été évaluée à 63% et sa spécificité à 89%. A noter que les résultats sont très dépendant de l'âge, du niveau d'étude, du niveau social et de l'état des affects !

Les normes françaises établies par le GRECO (2003) sont les suivantes pour les 50-79 ans :


Niveau culturel < 3
Niveau culturel 3-5 (primaires / CEP)
Niveau culturel 6 (> secondaire / BAC)
Médiane
28
28
29
Seuil pathologique (5ème percentile)
22
23
26

Il faut enlever 1 point à ces valeurs pour les 80-84 ans et 2 points pour les > 85 ans.

Mini Mental State Examination (MMSE)
MMSE - annexe

Mini-cog et dépistage rapide des troubles cognitifs

Cog.png

Batterie rapide d'évaluation frontale (BREF = FAB) et dépistage des troubles cognitifs dysexécutifs

Test de dépistage spécifique aux troubles exécutifs. Un score < 16 (15 si niveau culturel < 3 = primaires ou CEP) est considéré comme anormal.

Batterie rapide d'Efficience Frontale (BREF)

Simplification de l'échelle Instrumental Activities of Daily Living (IADL) et mesure de l'autonomie

IADL.png

Geriatric Depression Scale à 15 items (GDS) et dépistage des troubles dépressifs

Validée pour le dépistage des dépressions des > 55 ans. Pour un cut-off à 5/15 : sensibilité ≈ 90%, spécificité ≈ 80%. A noter que la sensibilité s'effondre pour les patients anosognosiques (maladie d'Alzheimer et majorité des démences dégénératives avancées) → très utile pour le dépistage des "pseudo-démences" sur affects dépressifs.

Global Depression Scale (GDS) à 15 items

Bilan complémentaire de base

  • Evaluation neuropsychologique (inutile en cas de démences très avancées).
  • CT-scanner cérébral (avec et sans PC) = minimum / (angio-)IRM (min = T1, FLAIR, T2*) = recommandé
  • Recherche de toxiques dans les urines / sang – à discuter selon la fiabilité anamnestique, la clinique, l'âge
  • Biologie
    • Ionogramme, HbA1c, urée et créatinine, folate, vitamine B12, PTH, TSH, cortisol, aldostérone, rénine, hémato-CRP, coagulation, NH4, VS, sérologie syphilis + borrelia + HIV, fonction hépatique, vitamine D, électrophorèse des protides, préalbumine, cuivre et céruloplasmine, FAN, ANCA (+- thrombophilie et anticoagulant lupique, anticorps maladie coeliaque,…)
  • Echographie cardiaque trans-thoracique + Holter de tension artérielle et de rythme cardiaque
  • EEG – très peu spécifique, à discuter selon le contexte
    • Signes spécifiques de maladies rares (pointes pseudo-périodiques de Creutzfeldt-Jakob)
    • Signes évoquant une encéphalopathie métabolique (grandes ondes lentes)
    • Exceptionnellement des arguments pour des crises épileptiques partielles complexes répétées

Dans des cas sélectionnés d'autres examens peuvent être utiles : ponction lombaire (vasculite ? infection ? prion ? test de décharge, mesure de pression), PET-CT cérébral (anomalies généralement très peu spécifiques hors pathologies tumorales ou infectieuses mais examen très sensible → démence très peu probable si examen normal),...

Annonce d'une démence irréversible

Il semble que, tant pour les patients que leur entourage, les aspects positifs de l'annonce (planification des soins, droit et désir de savoir, compréhension d'un phénomène angoissant, déstigmatisation de la maladie, meilleure adhésion à la prise en charge) l'emportent sur les aspects négatifs (anxiété, colère, possible incapacité du patient à comprendre les informations, non acceptation de l'absence de prise en charge médicale spécifique, incertitude diagnostique et pronostique, risque suicidaire).

Le caractère irréversible de la pathologie n'est cependant à évoquer qu'au terme de la mise au point. Face à un déni, un évitement, un isolement, ne pas forcer mais faire preuve d'empathie et programmer rapidement une nouvelle consultation pour reparler de la maladie. Lorsque c'est possible, l'annonce doit se faire au patient, l'information ne pouvant être transmise à la famille qu'avec son autorisation. Un diagnostic de démence irréversible ne prive de règle pas un patient du bénéfice du secret médical ou de ses autres droits. Dans les cas les plus avancés où le patient n'est plus apte à donner un tel consentement, on peut cependant le présumer dans l'intérêt du patient malgré le flou médico-légal en la matière.

Certains termes sont compris de la même façon mais n'ont pas la même charge émotionnelle. De façon générale, préférer les termes "troubles de la mémoire, cognitifs ou comportementaux" à "démence", "incurable", "inexorable", ou "dégradation intellectuelle". Expliquer lentement, sur plusieurs consultations et conclure sur des propositions symptomatiques et d'accompagnement social (orientation vers une assistante sociale spécialisée, les associations et les services publics spécialisés).

Outre la gestion des réactions immédiates, il est nécessaire pour le médecin traitant de suivre l'état émotionnel des patients et des aidants ainsi que l'évolution de l'état cognitif et de l'autonomie du patient. Etre attentifs également à d'éventuels actes de maltraitance ou de spoliation.

Idéalement, chaque étape suivante doit être prévue sur le plan social (ne pas attendre des incidents graves au domicile pour évoquer un placement). Dans les rares cas où le patient s'oppose à une mesure estimée nécessaire pour sa protection ou celle des autres ou de désaccords familiaux, la décision revient à la justice (ex : administration de biens "forcée") qui s'appuie sur des avis médicaux.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD