Sclérodermie
Maladie auto-immune, connectivite se caractérisant par une fibrose du tissu conjonctif associée à des anomalies vasculaires et immunologiques. L'atteinte est limitée à la peau ou, rarement mais ce qui fait toute la gravité de cette maladie, étendue aux organes profonds.
PHYSIOPATHOLOGIE
Mal comprise, probablement multifactorielle :
- Altérations vasculaires (capillaires, artérioles et artères de petit calibre) : prolifération intimale et obstruction de la lumière.
- Anomalies immunitaires et réponse lymphomonocytaire : infiltrat de cellules mononucléées au niveau périvasculaire, du derme profond et du tissus sous-cutané. Elévation du rapport CD4/CD8 et de la fonction Th stimulant les LB dont les lymphokines stimuleraient la production de collagène.
- Anomalies des fibroblastes et altération du tissu conjonctif : stimulation par les cytokines → augmentation de l'expression des ICAM1 à la surface des fibroblastes et des cellules inflammatoires → augmentation de la synthèse de collagène. Diminution de l'activité collagénase.
- Facteurs génétiques : cas familiaux rapportés, association avec des groupes HLA possible
- Facteurs environnementaux : l'exposition à des résines epoxy/ solvants/ silice/ prothèses mammaires en silicone/ hydrocarbures aromatiques/… = facteurs de risque
- Microchimérisme et réaction allo-immune fœtale anti-maternelle
SCLERODERMIE LOCALISEE
= forme la plus fréquente avec atteinte quasi-exclusive cutanée.
Cependant, de rares manifestations systémiques sont possibles : arthralgies, syndrome de Raynaud, migraines, aN osseuses (spina bifida,…), naevus, tâches café au lait, vitiligo, dystrophie unguéales, ichtyosse, hypertrichose, dysmotilité œsophagienne, syndrome restrictif pulmonaire,…
Rares associations avec : LED, connectivite mixte, dermatomyosite, cirrhose biliaire primitive, pemphigoïde bulleuse, hypothyroïdie de Hashimoto,, Basedow,…
- FORMES CLINIQUES
Son évolution est imprévisible et des améliorations spontanées sont possibles. On distingue généralement 3 phases : œdémateuse → indurée et scléreuse → atrophique.
- Sclérodermies localisées en plaques
- Morphée en plaques : plaques uniques/ multiples érythémateuses évoluant vers un aspect scléreux, blanc, induré entouré d'un halo érythémateux puis une hyper/hypopigmentation atrophique. ++ tronc et racines des membres. Possible alopécie cicatricielle.
- Morphée en goutte : petites taches blanches nacrées multiples pouvant se pigmenter. ++ tronc supérieur
- Atrophodermie idiopathique : ++ chez les ados : petites plaques d'emblée atrophiques brun-violacées sans inflammation ni sclérose. ++ tronc. Evolution svt bénigne avec des régressions spontanées.
- Morphée chéloïdienne = nodulaire : nodules chéloïdiens + morphées typiques
- Sclérodermie en plaque généralisée/ en plaques multiples
Morphées multiples parfois confluentes sur tout le corps et parfois les muqueuses. Possibles difficultés respis (engainement thoracique) et aN biologiques de sclérodermie systémique.
- Sclérodermie localisée bulleuse
Forme rare, lésions bulleuses (par dilatation lymphatiques?) associées à des morphées typiques
- Sclérodermie en bande
- Morphée en bande : bandes scléroatrophiques apparaissant svt dès l'enfance sur les membres (morphée monomélique), s'étendant progressivement vers une morphée pansclérotique en s'étendant profondément aux muscles et tendons. Possibles atteintes ostéo-articulaires.
- Morphée en coup de sabre : sur le visage/ cuir chevelu. Possibles atteintes oculaires/ gingivales/ dentaires/ linguales. Hypo/hyperpigmentation. Possible hémiatrophie homolatérale.
- Sclérodermies profondes
- Morphée sous-cutanée
- Fasciite de Shulman : apparaît brutalement suite à un effort → aspect de peau d'orange, ++ racine des membres
- Morphée panscléreuse = forme profonde de la sclérodermie monomélique
- BILAN
- Clinique
- Biopsie cutanée
- Biologie : numération-formule, VS, Ac anti-nucléaires, sérologie borrélienne (association débattue, cependant des cas d'évolution favorable des lésions cutanées après ABth en cas de sérologie positive ont été décrits).
- Optionnels : capillaroscopie
- EVOLUTION
Espérance de vie N. Evolution imprévisible, généralement les morphées se stabilisent en 3-5 ans (jusqu'à 20 ans pour les formes en coup de sabre) et l'amélioration spontanée est fréquente. Evolution exceptionnelle vers une sclérodermie systémique.
- TRAITEMENTS
- Corticothérapie
o Morphées localisées : dermocorticoïdes de classe I ou II appliqués 1-2x/j
o Formes en coup de sabre/ monomélique/ fasciite de Shulman débutantes: corticoth systémique 1mg/kg/j (en phases débutantes car efficace ++ sur les phases inflammatoires et œdémateuses)
- Photothérapie (UVAth, PUVAth, balnéoPUVAth)
- Discutés
o Méthothrexate 15mg/sem
o Pénicillinoth au long cours… à essayer en cas de sérologie borrélienne +
- Chirurgie : à discuter en cas de lésion stabilisée
Aucune étude n'a pu démontrer l'efficacité du calcitriol.
SCLERODERMIE SYSTEMIQUE
Rare, 2-20 cas / million/an. ++ F (3F/1H) 30-50 ans. Le pronostic est conditionné par l'atteinte viscérale (atteinte rénale = de très mauvais pronostic).
- LE CREST SYNDROME = SCLERODERMIE SYSTEMIQUE LIMITEE
- Critères diagnostiques cliniques
Présence de 3 signes parmi :
- Calcinose sous cutanée (10-20%)
- (phénomène de) Raynaud (95%)
- (dysmotilité) Œsophagienne (50-100%)
- Sclérodactylie (90%)
- Télangiectasies (10-20%)
L'apparition tardive d'une HTAP, la présence d'Ac anti-centromère (70-80%) et des aN capillaroscopiques sont également des arguments diagnostics. Il n'y a jamais d'atteinte rénale.
- LA SCLERODERMIE SYSTEMIQUE DIFFUSE
- Critères diagnostiques cliniques
- Soit présence d'une sclérodermie proximale (peau épaissie, tendue indurée, ne prenant pas le godet et touchant typiquement les articulations métatarso/ carpo-phalangiennes, pouvant s'étendre à l'ensemble de l'extrémité, la face, le cou, le tronc)
- Soit présence de 2 critères mineurs:
o Sclérodactylie (idem pour les doigts)
o Ulcérations/ cicatrices déprimées du bout du doigt
o Fibrose pulmonaire aux 2 bases ne pouvant être attribuée à une pneumopathie primaire
- Signes cutanés (+- muqueux)
Symétriques, intéressent svt les extrémités proximales et le tronc, sont rarement limitées aux extrémités distales +- visage (meilleur pronostic). L'évolution est généralement graduelle :
- Stade I : Phénomène de Raynaud (avec test d'Allen aN ++) précoce, œdèmes doigts/ mains
- Stade II : Sclérose cutanée progressive, troubles pigmentaires, troubles unguéaux
- Stade III : Troubles ischémiques, nécroses du bout des doits, télangiectasies
+- calcinose dermique (nodules calcifiés, ++ phalanges, s'ulcérant en laissant échapper un produit crayeux), syndrome de Sjögren (xérostomie, xérophtalmie), déchaussements dentaires (sur sclérose du ligament alvéolo-dentaire et xérostomie)
- Signes digestifs
- Dysmotilité œsophagienne (70-80%) → dysphagie et RGO
- Dilatation gastrique
- Malabsorption
- Syndrome pseudo-occlusif (d+ abdos chroniques, ballonnements, diarrhées/constipations
- Rares atteintes pancréatiques, exceptionnelles atteintes hépatiques.
Association avec : maladie de Biermer, maladie cœliaque, cirrhose biliaire primitive, hépatite auto-immune
- Signes respiratoires (75%)
- Pneumopathie interstitielle fibrosante chronique (50-80%)
o Cause fréquente de décès !!!
o Débute par une dyspnée + toux sèche persistante + désaturation à l'effort.
- HTAP
o Moins fréquente mais potentiellement létale sur insuffisance respi chronique/ insuffisance cadiaque D/ arythmies
o Primitive (par un mécanisme similaire au phénomène de Raynaud conduisant à une destruction du lit vasculaire pulmonaire)/ secondaire (à une fibrose pulmonaire ou une atteinte cardiaque)
- Rarement : néos, altérations de la musculature respiratoire, vasculites pulmonaires
Association significative avec la silicose (syndrome d'Erasmus)
- Signes cardiaques
- Secondaires à une atteinte pulmonaire (cœur pulmonaire)
- Primitifs : myocardiopathies arythmogènes potentiellement létales, péricardiopathies asymptomatiques, atteintes valvulaires exceptionnelles.
- Signes rénaux
- Paucisymptomatiques (50%) : protéinurie, syndrome néphrotique, IR légère, HTA
- Crise rénale sclérodermique (10%) menaçant rapidement le pronostic vital : HTA maligne avec IR rapide, anémie hémolytique microangiopathique, troubles de la vue, nausées, céphalées
- Signes musculaires
Atteinte inflammatoire similaire à celle de la dermatopolymyosite avec myolyse biologique et EMG aN
- Signes articulaires
Fréquentes polyarthralgies inflammatoires. Toujours rechercher une association avec une polyarthrite rhumatoïde.
- Atteinte du système nerveux (10%)
- Polyneuropathies périphériques
- Névralgies faciales
- Syndrome du canal carpien
- Signes oculaires
Possibles atteintes variables de tous les segments de lœil : conjonctivales, cornéennes, troubles oculomoteurs, rétiniennes, uvéites, glaucome, anisocorie. Souvent aggravée par un Sjögren secondaire.
- BILAN DIAGNOSTIC ET D'EXTENSION
- Evaluation de l'atteinte cutanée par des tests spécialisées dermato
- Biologie
o Bilan auto-immun
§ Ac antinucléaires : + dans 70-90%
§ Ac anticentromères (+ dans 30% des sclérodermies diffuses et dans 80% des CREST)
§ Ac anti-Scl 70 (70% des sclérodermies diffuses)
§ Antiphospholipides, anti-RNP, anti-SSA, anti-SSB
o VS, CRP, anémie inflammatoire, fonction rénale
- Capillaroscopie unguéale
o Mégacapillaires, diminution hétérogène de la densité capillaire, désorganisation, microhémorragies,…
o Permet de suggérer le diag très tôt en cas de phénomène de Raynaud
- Biopsie cutanée
o Infiltrat inflammatoire de cellules mononuclées associé à une augmentation du nombre et de l'épaisseur du collagène + diminution de la densité vasculaire avec rétrécissement de la lumière
- Bilan d'extension :
o Urines de 24 h avec protéinurie, clearance de la créatinine
o RX des mains
o RX et CT haute définition thorax
o EFR avec DLCO
o ECG et Echo-cœur
- TRAITEMENTS
Les traitements actuels ne permettent au mieux que de ralentir l'évolution de la maladie et d'en minimiser les symptômes.
- Corticoth systémique
o Efficace sur l'extension cutanée/ musculaire/ articulaire, contesté pour la préservation de la fonction pulmonaire
o Bolus mensuels de 100 mg de dexaméthasone sur 6 mois
o Prudence car rôle discuté dans l'induction d'une crise rénale aigue
- Immunosuppresseurs
o En cas d'atteinte viscérale majeure
o Azathioprine, cyclophosphamide (++ en cas d'atteinte pulmonaire, bolus mensuels de 750mg/m² ou per os 2-2,5mg/kg/j +- prednisolone), métotrexate, ciclosporine (!! Toxicité rénale)
- Vasodilatateurs
o Nifédépine (pour Raynaud, HTAP – 10mg 3x/j), buflomédil ou prazosine (++ pour Raynaud)
- Analogues des prostacyclines
o Ilomédine (Raynaud sévère avec troubles trophiques évolutifs, cures toutes les 6-12 sem de IV 1,5-2ng/kg/min durant 6h durant 5 j consécutifs)
- D-pénicillamine : contesté, utilisé en début de maladie
- Calcitriol : contesté
- Photothérapie : efficacité sur les symptômes cutanés. UVAth, PUVAth, balnéoPUVAth, Photochimioth extra-corporelle.
- Octréotide (analogue de la somatostatine stimulant la motricité intestinale) : 50-100µg/j pour les atteintes digestives, à court ou long terme.
- Traitements symptomatiques, greffes pulmonaires/ rénales
- Règles hygiéno-diététiques et prévention
o En cas de phénomène de Raynaud : éviction du froid (! professions !) + arrêt total du tabac + protection vestimentaire + prévention des microtraumatismes
o En cas d'acrosclérose : kiné, port d'orthèses
o Prévention du Raynaud pulmonaire = éviter l'inhalation d'air froid (écharpes !), oxygénoth de déambulation en cas d'atteinte respi (limiter l'hypoxie)
o En cas de malabsorption : minimum 30 kcal/kg/j avec 1g/kg/j de protéines +- supplémentation en fer et vitamines… éventuelle alimentation parentérale
o Prévention de l'atteinte rénale : contrôle tensionnel strict (++ IEC)
Divers traitements sont en cours d'évaluation : tacrolimus, minocycline, interféron gamma.
!!! la grossesse est formellement contre-indiquée en cas d'IR sclérodermique (risque d'HTA maligne) et doit être surveillée dans les autres cas (risque d'induire une atteinte rénale + risques fœtaux)!!!
SYNDROMES SCLERODERMIFORMES
- Syndrome des huiles toxiques
- SHARP syndrome
- Syndrome éosinophilie-macrophage et L-tryptophane
- Scléromyxœdème d'Ardnt-Gottron
- Sclérème de Buschke
- Sclérème diabétique
- Acrodermatite chronique atrophiante = maladie de Pick-Herxheimer (manifestation tardive de la borréliose)
- Maladie du greffon contre l'hôte
- Atteinte sclérodermiforme dans l'amyloïdose systémique
- Syndrome carcinoïde
- POEMS syndrome
- Maladies métaboliques : phénylcétonurie, porphyrie cutanée tardive, hypothyroïdie
- Sclérodactylie de la polyarthrite rhumatoïde
- Syndromes génétiques : Werner, Cockayne, Rothmund-Thomson
- Lèpre
- Hypodermite scléreuse sur insuffisance veineuse sévère
- Réaction tardive à l'injection de produits de contraste iodés