Intoxication éthylique (alcoolique) aiguë (ivresse)

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Une intoxication éthylique aiguë est définie comme l'apparition aiguë d'une symptomatologie stéréotypée liée à la toxicité de l'alcool. Elle suit généralement l'ingestion de quantités de boissons alcoolisées ou, exceptionnellement, l'inhalation ou l'ingestion d'autres substances. Elle peut survenir ou non dans un contexte d'éthylisme chronique et constitue un véritable problème de santé publique de par sa banalité, son coût médico-psycho-social, ses complications médicales et, surtout, les trauma survenant au décours de l'intoxication (rixes, accidents de roulage, maltraitance).

L'ivresse est quant à elle mal définie. Certains l'assimilent à celle de l'intoxication éthylique aiguë alors que d'autres limitent sa définition à une symptomatologie discrète d'excitation cognitivo-motrice ou l'étendent à tous les degrés cliniques.

Clinique

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La symptomatologie apparaît à des seuils variables d'éthanolémie selon les individus, elle même liée de façon variable à la consommation d'alcool selon les individus (facteurs génétiques, poids, état d'hydratation, masse graisseuse, sexe, origine ethnique,...). Grossièrement, pour un homme adulte de 70 kg, on considère que des manifestations cliniques apparaissent à partir d'une éthanolémie > 0,3 à 0,5 g/ l, liée à l'ingestion de 2 verres de vin (2 x 125 ml) ou de bière (2x 250 ml) ou un verre d'alcool fort à 40° (50 ml). Une éthanolémie > 4 g/ l est considérée comme marquant un risque élevé de décès.

Apparaissent tout d'abord un foetor alcoolique, une déshinibition, un état d'agitation cognitivo-motrice. A des états d'intoxications plus avancés, on notera des troubles de l'équilibre et de la coordination, des troubles visuels, des troubles mnésiques, des troubles de la parole et une agressivité suivis d'une somnolence, des nausées et vomissements, une polyurie. A un stade plus avancé, marquant un risque vital, peuvent apparaître des troubles de la vigilance plus marqués (stupeur, coma agité puis calme hypotonique) avec dépression respiratoire, des délires avec agressivité et/ ou hallucinations, des arythmies cardiaques.

L'anamnèse tentera de préciser les circonstances de l'ingestion, la notion de douleurs abdominales, d'hémorragies digestives, de trauma, de pertes de conscience et de crise convulsive, la consommation d'autres toxiques et de médicaments, les antécédents (en particulier : diabète, épilepsie, pathologies cardio-vasculaires).

"Hypersensibilité" ou "intolérance" à l'alcool

Certains individus, de par un défaut génétique de métabolisation hépatique de l'alcool, sont susceptibles de présenter des éthanolémies disproportionnément élevées au regard de très faibles quantités d'alcool. Ces intoxications éthyliques aiguës sont parfois désignée de façon impropre "ivresses pathologiques" (toute ivresse est pathologique...). La seule attitude à proposer est l'abstinence éthylique.

En outre, des cas de personnes présentant des intoxications éthyliques aiguës en dehors de toute consommation d'alcool mais après des repas riches en glucides ont été décrits. Ils concernent des individus qui présentent un taux de fermentation intestinale anormalement élevé (flore instinale trop riche en levures) et/ ou un défaut de métabolisme hépatique de l'alcool. Ces patients peuvent se voir proposer un régime pauvre en glucides, une abstinence éthylique et un traitement antifongique.

Ces cas sont à différencier des signes d'intoxications ou d'intolérance à d'autres substances que l'éthanol éventuellement présentes dans certaines boissons alcoolisées (ex : sulfites ou pesticides dans le vin) dont la symptomatologie se confond fréquemment à celle de l'intoxication éthylique.

Complications

En dehors des manifestations précédemment décrites, de nombreuses complications potentiellement graves sont possibles en aigu :

  • Chutes et trauma (en particulier trauma crânien)
  • Hypoglycémies (inhibition de la néoglucogénèse par l'alcool), particulièrement chez les sujets diabétiques et les alcooliques dénutris
  • Hypothermie
  • Crises convulsives et état de mal
  • Pneumopathies d'inhalation
  • Pancréatites aiguës (rares)
  • Hémorragies digestives hautes (gastrites, ulcère gastro-duodénal, Mallory-Weiss)
  • Rhabdomyolyse
  • Arythmies
  • Dépression cardio-respiratoire
  • Acido-cétose éthylique

A noter que la survenue d'un arrêt cardio-respiratoire au décours d'une intoxication éthylique est exceptionnelle et doit toujours faire rechercher une complication (hypothermie ? choc septique ? arythmie ?...), une pathologie intercurrente ou la prise d'autres toxiques et psychotropes.

D'autres complications sont possibles ensuite s'il existe un contexte d'éthylisme chronique :

  • Encéphalopathie de Wernicke et syndrome de Korsakoff
    • Précipitée par la pose de perfusions contenant du glucose sans supplémentation vitaminique (consommation par le métabolisme glucidique des réserves de vitamine B1 chez des patients carencés)
  • Encéphalopathie de Marchiafava-Bignami (toxicité directe de l'alcool supposée)
  • Syndrome de sevrage éthylique au décours de la prise en charge

Examens complémentaires

A réaliser systématiquement dès l'admission :

  • Glycémie au doigt puis veineuse
  • Ethanolémie

Aucun autre examen complémentaire ne doit être systématique. Selon les impératifs cliniques, on envisagera la réalisation de :

  • Electrocardiogramme
  • Biologie
  • Toxicologie urinaire et/ ou sanguine
  • Gazométrie
  • Radiographie thoracique
  • CT-scanner cérébral (si notion de trauma crânien ou présence de lésions crânio-faciales apparentes, présence d'un déficit neurologique focal, altération de l'état de conscience, doute diagnostique,...)
  • Radiographies osseuses
  • Electro-encéphalogramme
  • Oeso-gastro-duodénoscopie
  • ...

Implications médico-légales

Responsabilités d'un service d'urgence

Qu'il se présente de sa propre initiative ou non, tout patient en état d'intoxication éthylique aiguë doit être admis. L'attitude immédiate, la prescription d'examens complémentaires et l'orientation (simple observation, hospitalisation, soins intensifs) dépendra de la clinique, de l'âge du patient, de la glycémie et de l'éthanolémie. Si le patient veut quitter le service contre avis médical ou refuse des examens, il doit signer une décharge ou, s'il refuse, cela doit être consigné dans le dossier médical devant témoins.

En cas d'agitation ou d'agressivité incontrôlable ou de délire, l'attitude est la même que dans d'autres circonstances.

Lorsque le médecin du service est réquisitionné par la police pour effectuer un prélèvement pour éthanolémie, celui-ci ne peut être effectué qu'avec l'accord informé du patient en dehors de toute pression. Lorsque la réquisition concerne un examen clinique, voir le chapitre Certificat de non admission ou "Vu et soigné". En cas de désaccord ou de pressions des officiers de police, contacter le magistrat responsable si nécessaire.

Interprétation de l'éthanolémie

La mesure de l'éthanolémie a des implications pronostiques et légales, particulièrement en cas de rixes ou d'accidents (taux maximum légal fixé pour la conduite en Belgique = 0,5 g/ l).

Rapport entre éthanolémie et consommation d'alcool

L'éthanol est entièrement absorbé par le sang ~ 1 heure après ingestion. Sa métabolisation varie entre individus de 0,08 à 0,22 g/ l/ heure (moyenne : 0,15 g/ l/ h) et est ralentie en cas de pathologie hépatique. Le coefficient de distribution de l'éthanol est en relation avec sa non dissolution (hydrophile, lipophobe) dans les graisses → 0,68 chez l'homme, 0,55 chez la femme.

Sous réserve de variations inter-individuelle, l'éthanolémie à une heure de la consommation = masse d'éthanol / (masse du sujet x coefficient de distribution de l'éthanol)

  • Le coefficient de distribution de l'éthanol est de 0,68 pour un homme et de 0,55 chez une femme
  • La masse d'éthanol = volume d'éthanol x masse volumique de l'éthanol (0,789 g/ ml)
    • Le volume d'alcool = "degré d'alcool" (ml d'alcool/ 100 ml) x volume de la boisson (en ml) / 100

Exemple :

  • Lorsqu'un homme de 70 kg déclare avoir consommé 1 litre de bière "ordinaire" (pils, 5,2% d'alcool) → volume d'éthanol = 5,2 ml/ 100 ml x 1000 ml = 52 ml d'éthanol → masse d'éthanol = 52 x 0,789 (poids spécifique de l'alcool) = 41,028 g → éthanolémie attendue à une heure de l'ingestion = 41,028 / (70 x 0,68) = 0,86 g/ l
  • Inversement, un homme de 100 kg présentant une alcoolémie de 2 g/ l à une heure de la consommation → masse d'éthanol = 2 x 100 x 0,68 = 136 g → estimation du volume de bière pils consommée 136/ 41,028 = 3,3 l de bière pils…

Valeurs moyenne d'éthanolémie à une heure de la consommation de :

  • 1 verre de bière pils (250 ml) → 0,22 g/ l
  • 1 verre de vin (125ml) → 0,25 g/ l
  • 1 verre d'alcool 40° (50 ml) → 0,33 g/ l

Comment déterminer l'éthanolémie à un instant antérieur au prélèvement ?

  • Le problème du "dernier verre" : si la consommation date de moins d'une heure, l'éthanolémie n'a pas encore atteint son maximum, il convient donc d'en retrancher une partie : il se trouve dans la phase montante.
    • Ex : un patient présente une alcoolémie de 2 g/ l une heure après les faits. Il aurait pris une dernière bière 30 minutes avant les faits. Les faits se sont donc déroulés dans la phase montante de l'alcoolémie qui n'avait pas encore atteint la concentration maximale → au moment des faits l'éthanolémie peut être estimée à 2,00 - 0,22/2 = 1,89 g/ l (seule la moitié de la dernière bière a pu être absorbée au maximum).
  • Si la consommation date de plus d'une heure, il se trouve dans la phase descendante : il convient donc de rajouter la partie métabolisée
    • Ex : plus d'une heure après avoir bien bu (→ il a déjà atteint son éthanolémie maximale), le patient commet des faits → un prélèvement est réalisé une heure après les faits et montre une éthanolémie de 2 g/ l → la concentration au moment des faits était de 2,00 + 0,15 = 2,15 g/l (rappel : 0,15 g métabolisés en 1 heure en moyenne)

Prise en charge thérapeutique - Traitements

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Prise en charge immédiate des urgences vitales (hypothermie, choc, sepsis sévères, arythmies, état de mal, détresse respiratoire,...).

Correction des hypoglycémies.

De manière systématique :

  • Soins infirmiers
  • Hydratation et vitaminothérapie (prévention du syndrome de Wernicke) :
    • Si besoin d'une perfusion : solution glucose 5% ou mixte IV (jamais sans vitamines) + électrolytes si nécessaire + vitamines B1 (= thiamine, 500 à 1500 mg/ 24 heures), B6 (pyridoxine, 250 mg/ 24 heures) + B12 et PP (ex : cernevit 1 ampoule/ 24 heures)
    • Sinon, stimuler l'hydratation orale et vitaminothérapie PO (ex : befact)
  • Si intoxication compliquée très récente ou prise de médicaments et autres toxiques associée → envisager lavage d'estomac
  • Prise en charge d'une éventuelle agitation ou agressivité (mettre en balance le risque de dépression respiratoire avec la nécessité d'une sédation et le risque de sevrage en cas d'usage de benzodiazépines)
  • Protection contre le froid
  • Prophylaxie anti-ulcéreuse
  • Prise en charge spécifique d'éventuelles complications et pathologies intercurrentes
  • Si insuffisance respiratoire ou troubles de la conscience sévères → discuter intubation et ventilation mécanique
  • Si coma profond + alcoolémie > 5 g/ l → discuter hémodialyse avec l'intensiviste
  • La persistance des symptômes à plus de 24 heures doit faire revoir le diagnostic ou envisager une complication
  • Avis psychiatrique en cas de troubles psychiatriques connus

Orientation du patient :

  • Réanimation / soins intensifs
    • Intoxications éthyliques graves (signes de détresse vitale, coma, délire, état de mal épileptique, complication avec signes de gravité faisant craindre la survenue d'une menace vitale)
    • De façon indépendante, une éthanolémie > 4 g/ l doit faire discuter une surveillance sous monitoring et surveillance médicale durant au moins 24 heures
  • Hospitalisation :
    • Tout autre cas pour les patients mineurs (en cas de désaccord des parents : leur faire signer une décharge ou contacter le magistrat de garde en cas d'intoxication compliquée ou de suspicion de maltraitance)
    • Autres cas d'intoxications éthyliques compliquées
  • Garder le patient aux urgences / en unité d'"observation" quelques heures jusqu'au rétablissement d'un contact adéquat en cas d'intoxication éthylique aiguë non compliquée mais avec un comportement inadéquat
  • Sortie dans les autres cas, après obtention de la glycémie et de l'éthanolémie

A noter qu'une demande d'hospitalisation pour sevrage via les urgences, même en cas d'intoxication éthylique aiguë, n'est de principe pas un motif valable d'hospitalisation (taux de succès marginal dans de telles circonstances), sauf avis psychiatrique contraire. En cas d'éthylisme chronique ou de consommation jugée problématique, orienter le patient vers son médecin traitant ou des structures adaptées en ambulatoire.

Auteur(s)

Shanan Khairi, MD