Euthanasie

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L'euthanasie, une procédure médicale très particulière en fin de vie.

L'euthanasie, une procédure médicale très particulière en fin de vie.

L'euthanasie est ici définie arbitrairement comme l'administration de produits pharmacologiques à un patient par ses soignants dans le but d'obtenir la mort.

Il s'agit donc d'une procédure totalement différente du principe de décroissance thérapeutique ou de l'administration de sédatifs et d'antalgiques en fin de vie (même dans le cas où ceux-ci accélèrent le décès), depuis longtemps admises en Belgique. De même, elle est différente des procédures de "suicide assisté" en vigueur dans certains pays. La confusion entre ces différents concepts est fréquente, surtout dans les pays tels que la France qui n'ont pas légiféré en faveur de l'euthanasie ou du suicide assisté.

La participation de médecins à des exécutions (extra)-judiciaires à l'aide de produits pharmacologiques telles que pratiquées aux Etats-Unis n'entre pas dans le cadre d'un processus de soins (des médecins exécutant ces procédures ne peuvent décemment être considérés comme des "soignants") et est donc évidemment exclue de notre propos.

Dispositions en matière d'euthanasie en Belgique

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La Belgique a légiféré de telle manière qu'une euthanasie, sous certaines conditions, soit considérée comme un acte de soin et non pas comme un homicide (à l'instar du cas de l'interruption volontaire de grossesse, l'euthanasie n'est donc pas véritablement "légalisée" en Belgique mais "partiellement dépénalisée").

Ces dispositions sont définies par la loi de 2002 modifiée en 2014 (extension aux mineurs). Chacune des étapes et les différents rapports doivent être consignés dans le dossier médical du patient.

Dans tous les cas, tout médecin est libre, sans avoir à se justifier, de refuser (comme pour tout acte médical ne relevant pas d'une urgence) une requête d'euthanasie émanant d'un patient. En cas de refus, le patient est libre de réitérer sa demande auprès d'un autre médecin à qui sera transmis le dossier médical.

De même, personne, quelque soit sa profession et son statut, n'est tenu de participer de quelque manière que ce soit à une euthanasie.

Le cas des patients conscients

La demande doit être formulée spontanément par le patient auprès d'un médecin.

Le médecin est libre, sans avoir à se justifier, de donner suite ou de refuser (comme pour tout acte médical ne relevant pas d'une urgence médicale) une requête d'euthanasie par un patient. En cas de refus, le patient est libre de réitérer sa demande auprès d'un autre médecin. Dans le cas où cette demande est acceptée par un médecin, ce dernier devra :

  • s'assurer que le patient (ou s'il en est incapable, un majeur qu'il désigne et qui n'est pas intéressé matériellement à son décès) et, le cas échéant, ses représentants légaux actent la demande d'euthanasie par écrit
  • vérifier qu'il se trouve dans les critères légaux:
    • patient majeur, mineur émancipé ou mineur "capable de discernement" (après, dans ce dernier cas, expertise psychologique ou pédo-psychiatrique, et avec l'accord informé de ses parents ou tuteurs légaux)
    • demande formulée de manière volontaire, réfléchie et répétée (à plusieurs intervalles dans un délai raisonnable) après information et concertation
    • pas de pression extérieure
    • souffrance physique ou psychique constante et insupportable suite à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable (la souffrance psychique étant à prendre en compte uniquement pour les patients majeurs ou mineurs émancipés)
    • situation médicale sans issue
    • si le patient est un mineur "capable de discernement", le décès doit être estimé intervenir "à brève échéance"

Si ces critères sont respectés, le médecin devra consulter un confrère indépendant de lui-même et du patient afin qu'il se prononce sur base du dossier médical sur le caractère grave et incurable de l'affection, pour laquelle il doit être compétent. Il devra également consulter l'équipe soignante éventuelle en contact avec le patient. Si le patient en fait la demande, le médecin devra s'entretenir avec les proches désignés.

Si le patient est majeur ou mineur émancipé et que son décès n'est pas estimé intervenir "à brève échéance", le médecin doit consulter un nouveau confrère indépendant et spécialiste de l'affection concernée pour qu'il se prononce, après avoir pris connaissance du dossier médical et examiné lui-même le patient, sur la conformité des critères précédents. En outre, l'euthanasie ne peut dans ce cas survenir avant un mois suivant la demande écrite du patient.

La procédure peut être annulée à tout moment par le patient.

Le cas des patients inconscients : la déclaration anticipée

Il existe également une procédure de "déclaration anticipée" de demande d'euthanasie, ouverte aux majeurs et mineurs émancipés. Elle consiste à consigner par écrit sa volonté qu'un médecin pratique une euthanasie si celui-ci constate : une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, qu'il est inconscient et que cet état est jugé "irréversible selon l'état actuel de la science". Cette déclaration peut désigner une ou des personnes de confiances (qui ne peuvent être le médecin traitant, un médecin consulté et les membres de l'équipe soignante) chargées d'informer le médecin traitant de son existence et doit être dressée en présence de deux témoins majeurs qui n'ont pas d'intérêt matériel au décès du patient. Elle doit être datée et signée par le déclarant, les témoins et le cas échéant les personnes de confiance.

Cette déclaration peut être retirée à tout moment par le déclarant. Elle peut être enregistrée à l'administration communale.

Lorsque cette demande est transmise à un médecin, par la personne de confiance ou les services du registre national, il doit, pour y donner suite, s'assurer que :

  • Les conditions ci-dessus sont remplies
  • Le patient présente une affection grave et incurable et est inconscient de manière irréversible
  • La déclaration ne date pas de plus de 5 ans

Il doit ensuite consulter un confrère indépendant et compétent quant à l'affection qui se prononcera après avoir pris connaissance du dossier médical et examiné le patient. Il doit également s'entretenir avec les éventuelles équipe soignante et personnes de confiance.

Après l'euthanasie

Le médecin ayant pratiqué l'euthanasie doit la déclarer au moyen d'un document d'enregistrement dans les 4 jours ouvrables suivants auprès de la commission fédérale de contrôle et d'évaluation (composée de 8 médecins, de 4 professeurs universitaires de droit et de 4 "issus des milieux chargés de la problématique des patients atteints d'une maladie incurable").

Cette commission se prononce endéans les deux mois sur la régularité de la procédure. Si elle juge, à la majorité des deux tiers, la procédure irrégulière, le dossier est envoyé au Procureur du Roi compétent. Dans le cas contraire, le décès est réputé de "mort naturelle".

Des limites de la loi et de ses résultats...

Les problèmes de principes

L'adoption du principe de l'euthanasie répond à une demande largement partagée tant du corps social que du corps médical en Belgique. Quatre problèmes majeurs sont cependant posés :

  • Contrairement à une idée largement répandue, l'euthanasie en tant que telle n'est pas réellement "légalisée" mais, pour utiliser le jargon de nos juristes, "partiellement dépénalisée". Chaque euthanasie constitue donc toujours un homicide. Dans le cadre de la loi, la commission compétente examine chaque cas - généralement à posteriori - et décide ou non de le transmettre au parquet. Chaque médecin ayant pratiqué une euthanasie s'expose donc à une inculpation pour homicide si la commission ou un proche du patient concerné porte les faits à la connaissance du Procureur du Roi.
  • Les critères fixés par le législateur sont larges et d'interprétation très subjective, particulièrement en ce qui concerne le concept de "souffrance insupportable", laissant une lourde responsabilité au médecin. Comment objectiver une souffrance "insupportable" ? Quand une "souffrance psychique" devient-elle "insupportable" ? La commission et, le cas échéant, la justice auront-elles la même appréciation ?
  • A l'inverse, la procédure est extrêmement codifiée, lourde et complexe, ce qui demande une vigilance de tous les instants du médecin (sauf pour la procédure de demande anticipée où une partie de la charge de la procédure repose sur le patient) afin de s'assurer de sa conformité et un investissement important de temps en travail administratif, sous peine pour le médecin de s'exposer à des poursuites judiciaires pour homicide volontaire.
  • Enfin, les dispositions de 2014 (extension de la loi de 2002 aux mineurs) ont été adoptées sans réel débat de société. Ainsi, la Chambre des représentants a ouvert les débats sur le projet de loi le 12 février 2014 et la loi a été votée... le 13 février 2014. Les associations médicales n'ont quant à elles pas été consultées par les représentants. Des lettres ouvertes signées par un total de plus de deux cent pédiatres demandant au président de la Chambre de ne pas "hâter le débat", de laisser le temps à la réflexion et d'engager une consultation des médecins du pays ont été purement et simplement ignorées. Enfin, le "débat" public a été tellement discret que la grande majorité de la population n'a pris connaissance de ces dispositions qu'après le vote... voire les ignore encore aujourd'hui. Il est probable (sur base de sondages) que la majorité de la population était non seulement favorable à la loi de 2002 mais également à son extension aux mineurs. Cependant, les conditions exécrables dans lesquelles cette dernière a été adoptée pose non seulement des questions quant aux préoccupations du consensus social de nos représentants mais, surtout, quant à leur incapacité à comprendre un fait pourtant simple : in fine, l'application correcte de ce type de lois repose tant sur l'information que sur l'adhésion du corps médical, sensé à la fois informer les patients, mener la procédure et pratiquer l'euthanasie. S'abstraire de ce fait, c'est prendre le risque de voir émerger des pratiques erratiques.

Les résultats

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On peut tirer quelques constats mitigés de l'application de la loi de 2002 (il est trop tôt pour évaluer ceux de l'extension aux mineurs) :

  • Le principe même de l'euthanasie est indubitablement approuvé par la grande majorité du corps médical et de la population et n'a pas été significativement remis en question.
  • Officiellement, de 1 à 2% des décès annuels résultent désormais d'euthanasies, en hausse constante. Par définition, et contrairement à des rumeurs propagées par diverses associations ou médias, il est évidemment impossible de connaître le nombre d'euthanasies "clandestines", que ce soit avant ou après la loi.
  • Environ 80% des euthanasies déclarées concernent la population néerlandophone. Or, celle-ci ne représente que 60% de la population du pays... et, qui plus est, pour des raisons de disparités géographiques socio-économiques, la morbi-mortalité globale est supérieure chez les francophones. Les pratiques sont donc très inhomogènes, quelles qu'en soient les raisons (conservatisme ? convictions philosophiques ? différences d'information ? des patients ? des médecins ?).
  • Plus de 95% des euthanasies concernent des patients conscients. La déclaration anticipée est peu utilisée. Imprévoyance ? Déni quant à la perspective de son propre décès ? Public peu ou pas informé ? Public rebuté par la partie administrative à sa charge spécifiquement dans ce cas ? Résistance du corps médical ?
  • Près de la moitié des euthanasies ont lieu en ambulatoire, ce qui témoigne d'une bonne adaptation des médecins généralistes et structures palliatives ambulatoires
  • Alors que près de 80% des cas sont motivés par des cancers, le médecin "spécialiste de l'affection" concernée consulté en deuxième intention n'est pas un oncologue mais un psychiatre dans plus de la moitié aux trois-quarts des cas selon les années, ce qui paraît disproportionné. Cela témoigne-t-il du fait que le médecin de première ligne désire plus se rassurer quant au tempérament de son patient que de s'assurer du caractère "grave et incurable" de l'affection elle-même ? D'une manoeuvre des médecins "somatiques" de se décharger de leur responsabilité morale sur leurs confrères psychiatres ?
  • Des "souffrances psychiques" sont fréquemment mentionnées mais rarement isolément (de 1 à 7,5% des cas selon les années). Ce pourcentage tend cependant à augmenter. Les dossiers étant confidentiels, il est impossible d'en tirer plus de conclusions.
    • Un cas particulier a cependant fait la une des médias. Il s'agissait d'un détenu reconnu souffrant de "troubles psychiques" emprisonné depuis 26 ans pour viols et meurtres. Estimant ne pas recevoir les soins qui lui semblaient nécessaires dans son centre pénitentiaire, il avait fait la demande d'être transféré dans une prison disposant des installations adéquates. Sa demande ayant été rejetée par le ministre de la Justice et ayant épuisé tous les recours, il avait alors formulé une demande d'euthanasie estimant ses souffrances psychiques insupportables du fait de ses conditions d'incarcérations. Cette demande ayant été validée par son médecin et par un médecin consultant, une date d'euthanasie fut fixée. Dans la foulée, plus d'une vingtaine de détenus firent une demande similaire. Le ministre de la justice confirma tout d'abord son refus. Cependant, suite à l'indignation tant d'une partie du public que de nombreux médecins et de la Ligue des Droits de l'Homme (dont le communiqué évoquait explicitement une "peine de mort déguisée") ainsi que de la prise de conscience du tollé médiatique mondial qu'une telle procédure entraînerait, le ministre accepta finalement de transférer le détenu, qui retira sa demande d'euthanasie, dans une prison disposant d'une aile psychiatrique.
    • Ce cas est évidemment tout à fait exceptionnel. Il rappelle cependant la problématique du flou entourant la "souffrance psychique insupportable" et pose la problématique des inégalités sociales face à la médecine qui apparaissent particulièrement crûment en ce qui concerne l'euthanasie. Au delà de ce cas emblématique, on a pu constater plusieurs cas de patients ayant effectué des demandes d'euthanasies pour des souffrances physiques et/ ou psychiques... et les ayant retiré lorsqu'une amélioration de leurs conditions sociales a pu être réalisée (logement plus confortable, assistance humaine,...). Dès lors, la médecine apparaît une fois de plus comme un palliatif à de graves manquements socio-politiques.
  • Concernant le vécu des soignants, il n'y a évidemment pas de statistiques. Si les médecins spécialistes ou généralistes et le personnel paramédical semblent bien conscients de leurs droits, certains cas de médecins en formation débutant leur pratique semblent par contre problématiques. Dans certains services, ils sont en effet confrontés à des seniors qui se déchargent entièrement de la procédure sur eux, refusent d'y prendre part et ne les informent pas de leur propre droit de refus. C'est totalement inacceptable tant sur le plan légal que déontologique.
  • La commission valide directement environ 80% des dossiers transmis. Dans près de 20% des cas, elle décide cependant de lever l'anonymat afin de mieux s'informer auprès du médecin responsable sur base d'erreurs de procédures. En 2015, pour la première fois, la commission a transmis un dossier au Procureur du Roi qui a ouvert une instruction pour homicide (cf infra).

Une première affaire pénale

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En octobre 2015, la commission de contrôle a, pour la première fois, transmis un cas d'euthanasie au parquet qui a ouvert une information judiciaire pour homicide. L'euthanasie en cause a été réalisée le 22 juin 2015 sur une femme de 84 ans dans une maison de repos à Anvers par son médecin traitant, le Dr M. V. H., par ailleurs alors président de l'association Recht op waardig sterven (Droit à une mort digne) militant pour une extension du cadre de la loi existante. Les informations délivrées au public évoquent une procédure d'euthanasie filmée (et diffusée) par une chaîne de télévision australienne dans le cadre d'un documentaire (Allow me to die). Le motif de cette euthanasie était une "dépression réactionnelle" suite au décès de la fille de la patiente.

La décision du parquet quant à une éventuelle inculpation n'est pas encore connue. D'ors et déjà, cette affaire est instrumentalisée tant par les associations militant pour l'extension des critères existants d'euthanasie voire pour leur suppression pure et simple que par celles opposées au principe même de l'euthanasie. Le public belge semble cependant, pour l'heure, rester indifférent et l'affaire n'a été répercutée que par quelques rares articles de presse.

Auteur(s)

Shanan Khairi, MD