Dénutrition, amaigrissement et anorexie en gériatrie

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Une dénutrition est un état de carence en énergie, entraînant une altération notable des fonctions corporelles, associé à une augmentation de la mortalité et réversible par la prise en charge nutritionnelle.

Elle est particulièrement fréquente en gériatrie, concernant 4 à 7% des patients âgés en ambulatoire, 20 à 50% en institutions et 30 à 50% en hospitalisation. Une perte de poids > 5kg signe un risque majoré de morbi-mortalité.

Cette forte prévalence s'explique par de nombreux facteurs propres au sujet âgé : diminution de l'homéostasie, maladies plus atypiques/ moins diagnostiquées/ moins soignées, polypathologies et polymédications, troubles psychiatriques, démences, pathologies bucco-dentaires, problèmes sociaux et dépendance, pharmacocinétique différente, "anorexie liée à l'âge" (altération physiologique de la sensation de faim à la sénescence), alcoolisme,…

Dépistage et diagnostic

Mesures anthropométriques

  • Pertes de poids en l'absence de variation évidente du stock hydrique : perte de > 2kg ou de > 5% sur moins de 6 mois
  • Indice de masse corporelle - IMC (NB : lorsque la taille est difficile à estimer → estimation taille = (a x distance[talon-genou]) – (b x âge) + c) tel que a = 2,02 (H)/ 1,83 (F), b = 0,04 (H)/ 0,24 (F) et c = 64,19 (H)/ 84,88 (F))
    • < 20 → malnutrition probable
    • 20 à 25 → malnutrition peu probable
    • > 25 → surnutrition probable avec obésité et ses complications à > 30

A noter que que la présence d'oedèmes localisés ou généralisés peuvent "masquer" la perte de poids.

Echelles de risque nutritionnel

Mini nutritional assessment (MNA), nutritional risk screening, nursing nutritional checklist, MUST, Snaq, SCREEN II, MST,…

Biologie

Le meilleur marqueur de dénutrition est la pré-albumine (= transthyrétine, risque si < 200mg/l). Autres: albumine (risque si < 35g/l), transferrine (risque si < 180), RBP.

Divers

Observations plus subjectives : constat d'une diminution des apports, perte de masse musculaire et de graisse sous-cutanée, diminution globale de "force".

Critères diagnostiques

Il n'y a pas de consensus quant à des critères diagnostiques. Selon la GLIM, le diagnostic nécessite cependant l'association d'un critère "phénotypique" et d'un critère "étiologique" :

  • Critères phénotypiques : perte de poids involontaire ou IMC faible ou diminution de masse musculaire
  • Critères étiologiques : diminution des apports alimentaires ou état inflammatoire

Bilan et recherche de causes traitables à rechercher ("MEALS-ON-WHEELS")

Le "MEALS-ON-WHEELS"

Acronyme mnémotechnique des causes potentiellement réversibles de dénutrition les plus fréquentes en gériatrie :

Médicaments

Wandering (troubles du comportement)

Emotions

Hyperthyroïdie

Anorexia

Entry (malabsorption)

Late life paranoia

Eating problems

Swallowing (troubles de la déglutition)

Low salts/ cholesterol diets (régimes)

Oral problems

Shopping

No money

 

De très nombreux médicaments peuvent avoir une anorexie comme effet secondaire : amlodipine, cisapride, digoxine, fentanyl, L-thyroxine, nifedepine, paroxétine, potassium, risperidone, ciprofloxacine, enalapril, furosémide, analgésiques narcotiques, oméprazole, ranitidine,…

Autres étiologies

Les autres pathologies susceptibles d'entraîner une dénutrition sont très nombreuses : alcoolisme, diabète, inflammations aiguës ou chroniques, traumas, escarres, insuffisance respiratoire/ cardiaque/ hépatique/ rénale, néoplasies, régimes, démences, entéropathies chroniques,…

A noter également les pathologies pouvant induire une perte du goût et donc de l'appétit: paralysie de Bell, Crohn, cirrhose, cancers, dépression, diabète avec atteinte autonome, gingivite, influenza, hypovitaminose B12 (dépapillation de la langue), parkinson, Sjögren, carence en Zn.

D'autres conduisent à une perte d'odorat et donc de l'appétit: rhinites, Alzheimer, âge avancé, influenza, Korsakoff, carence en Zn, polype nasal, parkinson, Paget avec atteinte maxillaire, maladie de Pick, Shy-Drager, Sjögren.

En cas de diminution brutale des ingestats, considérer : confusion, douleur, dépression, pathologies aiguës diverses, impaction fécale, gastrite, œsophagite. Une dysphagie récente chez le patient âgé doit toujours faire évoquer un cancer de l'œsophage ou un diverticule pharyngo-œsophagien.

Bilan

L'évaluation est pluri-disciplinaire (médecin, diététicien, psychologue, assistant social)

Biologie minimale: hémogramme, CRP-VS, TSH, pré-albumine, folates, vit B1/ B12, Zn, vit D, Ca, (vit C).

Il n'y a pas de guide-lines quant à d'autres éventuels complémentaires qui doivent être guidés par l'interrogatoire et la clinique. En l'absence de cause évidente identifiée, il faut envisager en première intention une OGD et un CT-scan avec et sans contraste ou une IRM thoraco-abdomino-pelvien.

Prise en charge

Traitement des causes identifiées.

Objectifs nutritionnels (pesée min 1x/semaine avec revue des objectifs) :

  • Besoins minimaux : 30 kcal/ kg/ jour, dont 1 g de protéines/ kg
  • En cas de dénutrition : minimum 35 kcal/ kg/ jour dont 1,2 g de protéines/ kg
  • Formule des rations caloriques : 50-55% de glucides, 12-15% de protides, 30-35% de lipides
    • + supplémentation en minéraux, vitamines et oligo-éléments

Privilégier une alimentation PO enrichie dans un volume restreint (suppléments hyper-énergétiques ou ajouter poudre de lait/ gruyère râpé/ œufs/ crème fraîche) avec fractionnement des repas (3 repas + 2 collations), environnement convivial avec présence humaine lors des repas, renforcement de l'hygiène bucco-dentaire.

Si insuffisant → envisager sonde naso-gastrique (++ si durée < 1 mois) ou gastrostomie (++ si au long cours) tout en maximisant l'alimentation PO.

Il est rarement nécessaire de recourir à l'alimentation parentérale (par KT veineux central) qui entraîne des risques septiques, thrombotiques, de décompensations cardiaques, de troubles ioniques et glycémiques. L'alimentation parentérale par voie veineuse périphérique est classiquement évitée (risques thrombotiques encore plus importants) mais peut se justifier dans certains cas très particuliers (à court terme pour une phase aiguë et patient confus arrachant régulièrement sa sonde ou son KT).

L'usage de stimulants orexigènes ou d'antidépresseurs (en dehors d'une suspicion de troubles dépressifs) n'a jamais démontré d'efficacité et ne se justifie pas.

Expliquer et prendre l'avis de la famille mais toujours respecter le désir du patient en l'absence de confusion, de mise sous tutelle, de démence avancée ou de trouble psychiatrique aigu.

Nutrition uniquement "à la demande" en cas de fin de vie ou de démence sévère (à ne pas confondre avec une confusion) avec refus alimentaire ou troubles de la déglutition importants. Rappeler si nécessaire qu'en fin de vie la baisse des mécanismes de la faim et de la soif sont physiologiques et ne justifient en aucun cas de "forcer le patient" ou une nutrition parentérale qui n'apportent aucun confort supplémentaire au patient.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD

Bibliographie

Ritchie C et Yukawa M, Geriatric nutrition: Nutritional issues in older adults, Uptodate, 2022

Traité AKOS, Encyclopédie-médicochirurgicale, Elsevier, 2002