Craniosténoses

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Une craniosténose (ou craniosynostose) est une fusion prématurée d'une ou plusieurs sutures crâniennes (bandes de tissus conjonctifs entre les os du crâne, permettant sa croissance jusqu'à l'âge adulte) entraînant une déformation du crâne et, parfois, des signes d'hypertension intracrânienne chronique. Leur prévalence est d'environ 1 pour 2000 naissances.

Elle peuvent être associées à des anomalies de croissance du squelette facial (facio-cranio-sténoses) voire rentrer dans le cadre de syndromes polymalformatifs.

Accessibles à une prise en charge essentiellement chirurgicale, le challenge réside dans leur détection précoce afin de minimiser leurs répercussions fonctionnelles et esthétiques.

Eléments de pathogénie

L'ossification de la base du crâne est endochondrale et celle de la voûte endomembraneuse. Elle provient essentiellement des cellules de la crête neurale (sauf l'écaille de l'occipital qui a une origine méso-dermique) ayant migré depuis le tube neural. Contrairement à la base (influence hormonale sur les synchondroses, zones de croissance active), la croissance de la voûte crânienne est conditionnée par la croissance cérébrale (influence mécanique sur les synfibroses, zones de croissance passive). Ces synfibroses sont constituées d'une zone centrale de croissance fibroblastique permettant leur élargissement et de deux zones marginales où les fibroblastes se transforment en  ostéoblastes ("prolifération conjonctive avec ossification marginale de rattrapage").

L'agrandissement de la voûte dépend donc de l'ostéogénèse marginale des sutures. Son modelage dépend de mécanismes de résorption-apposition : la table interne se modèle via le sac dural sur l'encéphale (épaississement si le volume cérébral diminue, impression des circonvolutions cérébrales en cas d'hypertension intracrânienne), la table externe est principalement sous la dépendance d'autres facteurs mécaniques (muscles temporaux et nucaux).

La pathogénie des synostoses prématurée est mal connue et varie probablement selon les formes de craniosténoses. Le primum movens est probablement embryologique (début prénatal de l'immense majorité des cas). On ne peut cependant exclure une origine purement mécanique (compression in-utero ?). Dans tous les cas, on observe une déformation de la voûte avec rétrécissement perpendiculaire à la synostose et une croissance excessive en parallèle ("loi de Virchow").

Hypothèses étiologiques

  • Génétique :
    • on retrouve pour certaines craniosténoses (++ scaphocéphalies et trigonocéphalies) des formes familiales semblant se transmettre sur un mode autosomique dominant d'expression variable, des anomalies chromosomiques (++ chromosomes 7, 9, 11 et 13), des syndromes polymalformatifs (++ face et/ ou extrémités → identification de mutations FGFR pour certains syndromes) ou un retard psycho-moteur associé.
  • Facteurs mécaniques in-utéro
  • Troubles métaboliques, exceptionnels
    • Le rachitisme carentiel entraîne classiquement un retard de fermeture des sutures mais peut exceptionnellement s'accompagner d'une synostose prématurée
    • Rachitisme vitamino-résistant hypophosphatémique familial, hypophosphatasie, hyperthyroïdie néonatale, hyperthyroïdie maternellle
  • Iatrogène (traitements de la mère durant la grossesse) : valproate, hormones thyroïdiennes,…
  • Maladies osseuses généralisées exceptionnelles

Formes cliniques

Les différents types de craniosténoses

Le diagnostic est généralement évoqué par l'observation clinique et confirmé par des examens radiologiques.

Craniosténoses isolées

Trigonocéphalie - T

Elle consiste en une suture métopique → front étroit marqué par une crête sagittale médiane et pointant vers l'avant, effacement des bosses frontales, hypotélorisme et étroitesse du visage avec orbites ovalaires à grand axe oblique en haut et en dedans, le profil du front est court + bas + convexe. Front triangulaire bien visible au CT-scanner.

Scaphocéphalie (la plus fréquente en Europe) - S

Elles consiste en une suture sagittale → crâne exagérément allongé (vers l'avant avec bombement frontal et/ ou l'arrière avec saillie occipitale), rétrécissement transversal de la région pariétale, augmentation du périmètre crânien, impressions digitiformes aux radiographies peu fréquentes.

Plagiocéphalie - P

Elle consiste en une suture coronale → aplatissement du front côté atteint avec ascension de l'orbite + déviation de la pyramide nasale + bombement temporal + antéposition de l'oreille.

Brachycéphalie - B

Elle concerne les 2 sutures coronales → recul frontal bilatéral prédominant en sus-orbitaire, horizontalisation du profil nasal, partie basse du front aplatie avec apparence bombante vers l'avant du front vers l'avant ou le haut, bombement temporal bilatéral, rétrécissement du crâne d'avant en arrière et élargissement transversal.

Les atteintes des sutures coronales (++ brachycéphalies) sont associées à des mutations du gène FGFR3, à rechercher donc systématiquement. Association possible dans ce cas avec un hypertélorisme, bombement temporal très marqué, brachydactylie, baisse de l'acuité auditive.

Oxycéphalie - O

Elle concerne les 2 sutures coronales + suture sagitale → recul frontal global avec effacement de l'angle frontonasal, la voûte culmine au bregma par une bosse, absence d'élargissement compensateur du crâne mais au contraire rétrécissement transversalement, recul des arcades sourcilières avec exorbitisme bilatéral.

Cette craniosténose est rarement diagnostiquée avant 1 an (survenue tardive ? du fait d'une relative discrétion de la dysmorphie ?)… or, c'est la plus dangereuse des craniosténoses.

Atteintes lambdoïdes

Elles sont très rares. Unilatérales, elles entraînent un aplatissement postérieur du côté atteint. Bilatérales, elles réalisent une pachycéphalie (pôle postérieur moins arrondi avec "profil en coup de serpe"). On peut éventuellement également observer un discret bombement frontal.

Formes complexes

Elles résultent généralement d'une association des anomalies précédentes.

Formes syndromiques les plus fréquentes

Syndrome ("maladie") de Crouzon (dysostose craniofaciale)

Le syndrome de Crouzon consiste en l'association d'une craniosténose (++ incluant les 2 coronales) et d'une dysmorphie faciale (hypertélorbitisme, exorbitisme, inversion de l'articulé dentaire,…). La dysmorphie apparaît généralement vers 2 ans et s'aggrave progressivement (des formes précoces sont possibles, avec hypoplasie importante du maxillaire supérieur). Le risque d'hydrocéphalie et d'engagement amygdalien est important.

De nombreuses mutations génétiques ont été identifiées sur le bras long du chromosome 10 (++ gène FGFR 2).

Syndrome de Jackson-Weiss

Le syndrome de Jackson-Weiss est cliniquement proche du syndrome de Crouzon et résulte également de mutations FGFR2. Il s'en différencie par la présence d'anomalies plantaires (hallux large et dévié, fusion trsométatarsienne) +- acanthosis nigricans (épaississement et hyperpigmentation de la peau du cou et des plis de flexion).

Syndrome de Pfeiffer

Le syndrome de Pfeiffer consiste en l'association d'une brachycéphalie, de syndactylies membraneuses des mains et pieds, d'un élargissement des pouces et hallux avec déviation en dedans et parfois d'une brachydactylie, de synostoses des coudes ou de symphalangies. Il réalise une forme particulièrement sévère de craniosténose avec un crâne typiquement en "trèfle" et une hydrocéphalie congénitale constante.

Génétiquement hétérogène (+++ mutations FGFR1 +- FGFR2 [associé à des formes plus sévères], certaines se retrouvant dans les Crouzon ou d'autres syndromes).

Syndrome d'Apert = acro-céphalo-syndactylie

Le syndrome d'Apert consiste en un l'association d'une facio-craniosténose (sténose toujours bicoronale et respectant le système longitudinal, hypoplasie majeure du maxillaire supérieur avec inversion de l'articulé dentaire, nez en bec, hypertélorbitisme, exorbitisme), de syndactylies osseuses et membranaires des quatre extrémités (aspect "en moufle" : syndactylie totale avec éventuel respect du premier ou cinquième doigt) et parfois d'une fente palatine. Ces anomalies sont présente dès la naissance.

Présence constante d'une mutation FGFR2 (Ser252Trp ou Pro253Arg).

Syndrome de Saethre-Chotzen

Le syndrome de Saerthre-Chotzen consiste en l'association d'une craniosténose variable (++ atteinte des 2 coronales), d'un ptosis fréquent, d'oreilles petites et rondes avec crux cymbae caractéristique et parfois d'une syndactylie membraneuse des deuxième-troisième doigts et/ ou d'un hallux large parfois dupliqué.

Des mutations du gène TWIST sur le bras court du chromosome 7 sont identifiées pour 70% des patients.

Dysplasie cranio-fronto-nasale (DCFN)

La dysplasie cranio-fronto-nasale consiste en l'association d'une synostose coronale bilatérale (rarement unilatérale), d'un hypertélorbitisme, d'un élargissement ou bifidité nasale et parfois d'anomalies discrètes des extrémités (syndactylies membraneuses, bifidité unguéale,…). Il est rare, de transmission dominante liée à l'X (anomalies de la région terminale du chromosome X).

Examens complémentaires

  • Radiographies standards
    • Examen de bonne sensibilité dans cette indication, il n'est plus que rarement utilisé du fait de la disponibilité du CT-scanner
  • Echographie
    • Permet une évaluation des sutures. Elle n'est cependant plus que rarement utilisée du fait de la disponibilité du CT-scanner
  • CT-scanner cérébral
    • = gold standard diagnostique
  • IRM cérébrale
    • ​Son apport dans cette indication est limitée à certaines complications
  • Etudes génétiques
    • A effectuer chez tout porteur d'une ou deux sutures coronales (mutation Pro250Arg dans le gène FGFR3 ?). Sinon, à discuter au cas par cas.
  • Examen ORL avec audiogramme
    • → A effectuer chez tout porteur d'une ou deux sutures coronales. A discuter au cas par cas autrement.
  • Examen ophtalmologique avec Fonds d'Oeil
    • Indispensable en cas de suspicion d'atteinte de l'acuité visuelle sur hypertension intra-crânienne

Diagnostic différentiel

Le diagnostic est généralement facilement évoqué face à une déformation crânienne à la naissance. Cependant…

Les aN de croissance du périmètre crânien sont très peu Sp. Une microcéphalie révèle plus svt une atrophie cérébrale qu'une brachycéphalie. La fermeture précoce de la fontanelle bregmatique est le plus svt une variante de la N. Les macrocéphalies doivent faire évoquer une hydrocéphalie ou un HSD avant une scaphocéphalie.

Des déformations crâniennes symétriques posent le problème d'un DD avec une atrophie cérébrale qui peut même aboutir à de véritables craniosynostoses secondaires (mais absence d'aN de la base ou d'impressions digitiformes). Le CT ou l'IRM permettra d'éliminer une atrophie cérébrale sous-jacente.

Dans le cas des déformations crâniennes asymétriques postérieures, le DD se pose entre une synostose lambdoïde et une simple conséquence positionnelle du décubitus dorsal de la prévention de la mort subite du nourrisson (amélioration possible sans chirurgie en tentant d'alterner les zones de pression). Dans le cas des asymétries antérieures,  le DD se pose entre une synostose coronale et une déformation positionnelle (peu d'amélioration spontanée, chirurgie esthétique de règle).

Complications

Hypertension intracrânienne chronique

Très fréquente (prévalence augmente avec l'âge : 2 à 4 x plus fréquente après 1 an), d'autant plus que le nombre de sutures atteintes est grand. Sévérité particulière en cas d'oxycéphalie ou de Crouzon.

Vu son développement insidieux et limité, elle n'entraîne de règle pas de danger vital (hormis affection intercurrente telle que trauma crânien, infection du système nerveux central,…).

Le fonds d'oeil est un mauvais examen diagnostique dans ce cadre (jusqu'à > 70% de faux négatifs !). Les impressions digitiformes sont déjà plus sensibles (~80-85%) → importance de la suspicion clinique !

La diminution de l'acuité visuelle résulte de la souffrance du nerf optique secondaire à l'hypertension intracrânienne. Elle est généralement irréversible et constitue un critère d'urgence thérapeutique (stabilisation).

Le retard de développement psychomoteur est très fréquent et d'autant plus sévère que la correction chirurgicale est tardive. L'hypertension intracrânienne n'est cependant pas seule en cause (dégradation des rapports mère-enfant !).

Syndrome d'apnées du sommeil, arrêt respiratoire,… Particulièrement fréquents dans les formes syndromiques (< rétrusion maxillaire supérieure ou engagement cérébelleux). Peuvent engager le pronostic vital et aggravent le risque de troubles neuropsychologiques et d'hypertension intra-crânienne.

Evolution - pronostic

L'aggravation spontanée de la dysmorphie cranio-faciale est la règle, hormis certaines trigonocéphalies (du fait de l'effacement de la crête médiane frontale après 3 ans). Il en est de même du retard psycho-moteur.

Lorsque l'intervention est précoce (avant 1 an), la dysmorphie devient non/peu apparente à 10 ans. Si elle ne semble pas entraîner d'amélioration cognitive significative à court terme, le développement psycho-moteur est de règle (sub)-normal à 10 ans en cas d'intervention précoce.

Formes graves

Certaines craniosténoses sont de plus mauvais pronostic :

  • Les craniosténoses induites par la prise de valproate durant la grossesse → pronostic cognitif très médiocre (++ si doses > 1 g/ jour)
  • Le syndrome d'Apert → dysmorphie majeure très difficile à corriger et résultats cognitifs médiocres (25% atteindront un QI > 90) semblant en majeure partie résulter des problèmes psycho-sociaux dus à la dysmorphie.
  • Les dysostoses craniofaciales majeures précoces → risque fonctionnel/ morphologique/ vital majoré
  • Les "crânes en trèfle" → hydrocéphalie anténatale majeure associée → pronostic fonctionnel déplorable malgré un drainage précoce
  • Les craniosténoses liées à des aN chromosomiques → pronostic fonctionnel désastreux au point que les indications chirurgicales sont plus limitées…

Principes de prise en charge thérapeutique - Traitements

Prise en charge chirurgicale

Le traitement est toujours chirurgical et doit être pratiqué le plus tôt possible en cas d'atteintes plurisuturaires, en tout cas avant 1 an. Il paraît raisonnable d'attendre 6 mois pour les atteintes monosuturaires (risque fonctionnel faible). Pour les cas pris après 3 ans, les indications chirurgicales doivent être plus limitées (dysmorphie importante ? évolution psycho-motrice ? PIC ?).

Les techniques les plus anciennes visent seulement à éliminer la compression cérébrale

  • ex : craniectomie linéaire sagittale, restant utile pour certaines scaphocéphalies, emportant la suture synostosée du bregma jusqu'au lambda et est complétée par une craniectomie en arrière des coronales et en avant des lambdoïdes, complétée par volet libre occipital si bombementt post excessif, comblement par des fragments osseux libres).
  • De simples volets libres de décompression sont toujours utilisés en cas d'HTIC sans dysmorphie significative (certaines oxycéphalies, Crouzon,…).

Les techniques actuelles sont le fruit d'une collaboration entre neurochirs et plasticiens et visent également à effacer la dysmorphie et restaurer la croissance ultérieure. Elles varient selon le type de craniosténose et l'âge. Le principe consiste en la dépose de toute zone aN du squelette crânien et leur reconstruction à l'aide de volets osseux de taille et courbure sélectionnées. Des ostéotomies faciales peuvent être pratiquées en complément (avancement maxillaire sup, avancement frontofacial monobloc, rapprochement orbitaire,…).

Les complications opératoires sont rares (++ HH), la mortalité d'~0,1%. On observe un défaut de réossification/ une résorption osseuse partielle dans ~5% des cas, imposant parfois une cranioplastie secondaire. Le risque de récidive est ~3% (++ formes complexes et syndromiques).

Prise en charge médicale

Il y a peu de place pour les traitements médicaux (prise en charge supportive et symptomatique en cas de décompensations aiguës de l'hypertension intracrânienne chronique lors d'affections intercurrentes, en complément des traitements chirurgicaux).

Prise en charge para-médicale

De manière générale, au côté de la prise en charge du patient, un soutien psycho-social (psychologue, assistante sociale) doit toujours être proposé (tant au père qu'à la mère) pour prévenir les dépressions parentales, les problèmes familiaux, les divorces et les dégradations des rapports mère-enfants (causes de retards psycho-moteurs et de croissance) voire les abandons.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD