A propos du cas Vervoort : du MR, de La Libre Belgique et de Nuremberg... ou quand le gouvernement me transforme en sous-citoyen

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Nuremberg ou les conditions d'appartenance au peuple allemand

"Connerie sans nom", "imbécilité océanesque", "bêtise incommensurable", "choquante", "ligne rouge", "inacceptable", "doit être sanctionné"... tels sont les qualificatifs adressés ce jour à Rudy Vervoort (PS), ministre président de la région de Bruxelles-Capitale, par un Francis Van de Woestyne en roue libre dans son éditorial du 28 janvier paru dans La Libre Belgique (LLB). De quoi s'est donc rendu coupable Vervoort pour que le rédacteur en chef de LLB se pense autorisé à demander sa tête au détour d'un déluge d'insultes ? C'est simple. Vervoort a défendu les droits civiques d'une partie des Belges d'origine étrangère, moi compris.

 

Suite à l'attentat commis chez nos voisins contre Charlie Hebdo, notre gouvernement fédéral, mené par le libéral Charles Michel (MR), s'est en effet cru obligé de nous pondre dans l'urgence une loi comprenant douze mesures d'exception mettant à mal les fondements mêmes de notre démocratie. La Ligue des Droits de l'Homme, de plus en plus habituée à s'exprimer en vain au fil des années, en a d'ailleurs critiquées certaines et condamnées d'autres sans ambiguité. Parmi ces dernières figure la création d'un véritable statut de sous-citoyen auquel se verra réduit une partie des Belges d'origine étrangère. Il est en effet prévu un possible retrait de la nationalité belge s'ajoutant aux peines déjà prévues pour une série d'activités touchant au terrorisme (et demain, pour d'autres crimes et délits ? Et ensuite, comme sanction administrative ?), cette mesure ne pouvant par définition pas s'appliquer aux Belges ne possédant qu'une seule nationalité (les conventions internationales interdisant aux Etats de rendre leurs citoyens apatrides). Selon leur statut de "binational" ou de "mononational", l'Etat discriminera donc les citoyens avec la force de la loi. Discriminera encore plus devrais-je dire, puisque ce projet vise à étendre les dispositions (simplification de procédure, extension de l'application jusqu'aux immigrés de "troisième génération", délits et crimes en cause) d'une loi discriminatoire déjà existante datant de 2004.

 

Cette mesure me concerne personnellement puisque, bien que né en Belgique et y ayant une partie de ma famille présente depuis le moyen-âge, le Soudan, où je n'ai jamais mis les pieds, m'attribue automatiquement, sans me demander mon avis, sa nationalité de par celle de mon père. Voila donc une loi qui prévoit, pour une même infraction, en fonction des origines pour une partie des Belges une peine de prison et pour une autre partie dont je suis membre, une peine de prison assortie d'une déchéance de nationalité et d'une expulsion vers je ne sais où au terme de la peine.

 

Denis Ducarme, président du groupe MR à la Chambre

Outre les organisations de défense des droits humains, divers parlementaires, dont le député Rachid Madrane (PS), se sont publiquement insurgés de ce projet de loi, n'hésitant pas évoquer des "relents racistes". Le gouvernement rejeta toute critique, notamment par la voix du député Denis Ducarme (MR) qui n'hésita pas à qualifier le discours de Madrane "d'indigne" et de "communautariste", rejetant ainsi l'opinion politique d'un député non pas par l'argumentation raisonnée mais par l'argument "ad origine". C'est dans ce contexte que Vervoort a non seulement, à raison, condamné les propos inacceptables de Ducarme mais établi un parallèle entre le projet de loi en cause et les lois de Nuremberg, déchaînant l'ire du MR, exigeant sa condamnation par le parlement bruxellois, et de Van de Woestyne, se perdant dans la grossièreté.

 

Rudy Vervoort, ministre président de la région de Bruxelles-Capitale

Pour rappel, les lois de Nuremberg adoptées par le régime nazi avaient pour objet de restreindre les droits politiques selon des critères ethniques. Y était ainsi définie la "race juive" selon une série de critères qui privèrent une partie des juifs allemands de certains de leurs droits, les autres devant s'humilier à démontrer leur non judéité. Ces critères évoluèrent rapidement de telle façon que plus aucun juif ne pu se prétendre Allemand ni prétendre à aucun droit politique. La comparaison faite par Vervoort était donc tout à fait justifiée (non sur l'ampleur de la violation des droits civiques mais sur les principes en cause) et d'autant plus pertinente qu'est présent au gouvernement un parti historiquement lié aux milieux néo-nazis flamands. Et qu'il y ait une outrance dans cette comparaison (champs d'application de ces lois, projet nazi d'extermination et de perfection racialiste entourant ces lois, unicité de chaque fait historique) n'y change rien. Le projet de loi du gouvernement Michel met non seulement à mal le principe d'Etat de droit (puisque créant des catégories de citoyens sanctionnés différemment par l'Etat pour de mêmes faits) mais peut être qualifié de loi ethnique (puisqu'établissant indirectement cette différence de traitement sur base d'une binationalité quasi exclusivement liée à l'origine - et les origines visées sont claires pour tous).

 

Vervoort, pressé de toutes parts de fournir des excuses, ne devrait pas à avoir à le faire ! Son propos était certes outrancier mais son sens était tout à fait fondé. Le parlement bruxellois n'a pas à le "condamner". Le véritable scandale ne réside pas dans cet excès mais dans le projet de loi fédéral qui, lui, devrait être condamné sans réserve. Quant à Ducarme et Van de Woestyne, ils sont apparus ce jour comme des ennemis de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de tous les Belges ayant, de leur fait ou non, une autre nationalité.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD

Janvier 2015