Gaz irritants et toxiques

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Utilisation de "gaz neutralisants" (irritants primaires) à courte distance par la police lors d'un sit-in à Toulouse contre la "loi Travail" en 2016

Les gaz irritants et toxiques sont essentiellement issus des processus agricoles et industriels, de la pollution automobile et domestique, des incendies et de leur usage comme armes de combat.

Leur dangerosité, allant d'une irritation muqueuse à un décès quasi-immédiat, varie principalement selon leur concentration, la durée d'exposition et leurs mécanismes d'action au niveau respiratoire ou général.

Classification

On distingue généralement trois grandes classes de ces gaz selon leurs modes d'actions prépondérants :

  • Les "gaz irritants primaires" (action locale)
    • Ils agissent par bronchoconstriction, hyper-réactivé bronchique et/ ou hypersécrétion bronchique. L'action "générale" est jugée inexistante ou négligeable.
    • Leur action uniquement locale n'est pas dénuée de risques de complications graves susceptibles de mener à un décès : brûlures caustiques, bronchospasmes, risque d'ARDS (oedème pulmonaire lésionnel)
    • De règle, moins le gaz est hydrosoluble, plus son action sera distale (il se dissoudra moins vite à la surface des muqueuses respiratoires et pénètrera de ce fait plus profondément dans l'arbre respiratoire), retardée et sévère cliniquement
    • Ils regroupent notamment la plupart des gaz neutralisants encore utilisés couramment par les forces de l'ordre civil Leur usage comme armes de guerre est désormais interdit par les conventions internationales
  • Les "gaz irritants secondaires" (action locale et générale)
    • Ils agissent à la fois par action locale comme les gaz irritants primaires et par action générale (toxicité multi-organique)
    • Leur usage comme armes de guerre est désormais interdit par les conventions internationales
  • Les "gaz toxiques" (action générale et/ ou asphyxiante)
    • Ils n'ont pas d'effets irritants des muqueuses respiratoires mais une action générale généralement sévère
    • Leur usage comme armes de guerre est désormais interdit par les conventions internationales

IRRITANTS PRIMAIRES

(action locale)

IRRITANTS SECONDAIRES

(action locale et générale)

TOXIQUES

(effets généraux et/ ou asphyxiants)

Agissant principalement sur les voies aériennes supérieures (VAS) :

NH3 (ammoniac)

HCl, H2SO4, HNO3,… (polluants acides)

Formaldéhyde

Acétaldéhyde

Gaz neutralisants

Agissant sur les voies aériennes inférieures (VAI)

Phosgène (gaz de combat) : COCl2

Ozone (polluant oxydant)

Oxydes d’azotes (polluant oxydant)

Agissant sur les voies aériennes supérieures et moyennes (VAM)

SO2

Chlore

 

H2S (hydrogène sulfuré)

 

H3P (phosphine = hydrogène phosphoré)

 

Gaz halogénés : fluor

 

 

Arsine : H3As (hémolysant)

 

CO (asphyxiant)

 

Gaz cyanogènes : acide cyanhydrique (asphyxie par blocage du cytochrome P450) 

Gaz irritants primaires (action locale)

Polluants acides (touchent les VAS +- VAM)

Le principal représentant de ce groupe est le dioxyde de soufre (SO2) :

  • Pollution externe : provient principalement de la combustion du charbon et du pétrole. Autres sources : divers processus industriels, activité volcanique.
  • Son oxydation produit du SO3 et H2SO4 ("pluies acides")
  • Effets cliniques :
    • Bronchoconstriction proximale (très hydrosoluble  reste dans les VAS)
    • Selon la concentration : simple irritation (à 0,03 ppm) au décès (habituel à partir de 0,2 ppm). Sensibilité particulière des asthmatiques et BPCO
    • Il est impliqué dans la survenue ou l'aggravation de bronchopneumopathies chroniques

Polluants oxydants (touchent les VAI)

Ces polluants sont souvent présents en groupe. Ainsi, la combustion du tabac émet, outre des goudrons et la nicotine, des NxOx, du CO, des hydrocarbures, des aldéhydes…

Les sources prépondérantes sont la pollution automobile et, pour les fumeurs, le tabagisme.

Effets cliniques : condition non suffisante mais favorisante des troubles allergiques (par bronchoconstriction et inflammation chroniques et baisse de la résistance aux allergènes). Sensibilité particulière de certains patients : BPCO, asthmatiques, allergiques, enfants, personnes âgées, fumeurs (augmentation de la réactivité bronchique)

Effets cliniques :

  • Favorisent l'exacerbation ou la révélation de troubles allergiques (par bronchoconstriction, inflammation chroniques et baisse de la résistance aux allergènes)
  • Exacerbation des pathologies respiratoires chroniques
  • Exacerbation des cardiopathies ischémiques (baisse d’oxygénation tissulaire, augmentation de la demande en oxygène) avec majoration des risques de décompensation cardiaque et de syndromes coronariens aigus
  • Lors d'expositions importantes aiguës : augmentation de la morbidité pulmonaire d'origine obstructive, principalement chez l’enfant (risque de trachéo-bronchite sévère), les asthmatiques et BPCO, les personnes âgées, les personnes allergiques et les fumeurs (augmentation de la réactivité bronchique). Des troubles cardiaques sont plus rarement décrits
    • Risque particulièrement majoré à l’effort : en cas d’ensoleillement, d’absence de vent et de taux d’ozone importants, le sport est déconseillé aux personnes à risque

Les oxydes d’azote : NxOx

Le plus fréquent est le monoxyde d'azote (NO), instable et se transformant facilement en NO2, plus toxique encore. Il existe des normes pour le NO2, pas pour le NO.

  • Sources : tout processus de combustion à haute température. Principalement issus de la pollution automobile mais également de l'industrie, des cuisinières, du tabac,… Il sont omniprésents dans l’environnement contemporain
  • Effets cliniques : inflammation de l’épithélium par la production de radicaux libres lésions des bronchioles terminales et alvéoles  cause de broncho-pneumopathies obstructives (BPCO)

L’ozone : O3

Pollution externe +++ : CO + 2 O2  O3 + CO2 sous l’effet des ultra-violets (UV), avec NO2 comme catalyseurs  déterminée par les quantités de CO, NO2 et d’UV (pollution estivale +++)

Production intérieure : photocopieuses, soudure, laboratoires,…

Effets : peu soluble  pénètre les alvéoles  irritation des rmuqueuses  agent de lésions fibrosantes (inhibiteur de l’antiprotéase alpha-1-antitrypsine)  fibrose pulmonaire avec syndrome restrictif. Peut également causer un syndrome obstructif et aggraver des maladies allergiques (à partir de la dose seuil de 0,2 ppm).

Les "particules de matières" = les "fumées noires" = oxydants photochimiques

Classées selon leur taille et leur origine. Classement : PM 10 (inférieures à 10 microns, dont les "coarses particles" [particules brutes] entre 2,5 et 10), PM 2,5, PM 1 et UFP (= particules ultrafines : entre 0,01 et 0,1 microns de diamètre). 

Effets cliniques :

  • Toxicité pulmonaire ++++ potentialisant les maladies allergiques
  • Toxicité cardio-vasculaires (sauf coarse particles) avec dépression ST et syndrome inflammatoire CRP, fibrinogène et hypercoagulabilité
  • Effets cancérigènes ??? discuté

Idem pour les particules  de diesel

Gaz neutralisants = "agents anti-émeutes" (touchent les VAS)

Production : spray anti-agression, gaz lacrymogènes, grenades,… tirant leur origine de la première guerre mondiale.

Effets : très solubles  irritent la peau et muqueuses du visage ainsi que les VAS en quelques secondes avec des effets urticants et sternutatoires (provoquent un réflexe de toux)  blépharospasmes et rhinites.

Décrits par les autorités comme peu toxiques, ils peuvent être très dangereux (brûlures, phénomènes asphyxiques, bronchospasmes, oedème pulmonaire lésionnel) lors d'exposition à fortes doses ou pour des population à risque (patients atteintes de pathologies cardio-pulmonaires).

CS : le chlorobenzalmalonitrile (le plus courant d’usage par les forces de l’ordre dans le monde)

Le CS est un solide blanc à l’odeur poivrée.

Effets :

  • Projeté à > 1 m : généralement bénin - irritant, larmoiements, sensation de brûlures des VAS,… rapidement (quelques minutes à quelques dizaines de minutes) régressifs après cessation de l'exposition
  • Projeté à < 1m : risque important de brûlures caustiques des voies aériennes
  • En cas d’inhalations importantes : risque de bronchospasme voire même d'oedème pulmonaire lésionnel (ARDS).

Diagnostic : anamnèse + dosage urinaire d’un métabolite (ex : acide chlorohippurique)

Traitement : lavage abondant à l’eau, pendant > 15 minutes pour les lésions caustiques. Une suspicion de lésions caustiques des voies aériennes ou la survenue d'un bronchospasme ou d'un oedème pulmonaire lésionnel nécessite une prise en charge supportive et une surveillance prolongée dans un milieu disposant d'une unité de soins intensifs.

CR : dibenzoxazépine 

De développement plus récent, idem au CS mais effets plus transitoires

CN : chloroacetophenone

 Idem mais risque de toxicité broncho-alvéolaire accrue

DM : adamsite 

Plus toxique et moins sécurisé. A la spécificité de présenter églament un effet vomitif et d'être neuro-toxique (tant pour le système nerveux central que périphérique).

OC : Capsaïne = "gaz au poivre", "pepper spray"

Similaire au CS bien qu'il semble un peu moins dangereux.

Gaz irritants secondaires (action locale et générale)

H2S : Hydrogène sulfuré

Production : industrie, élevage, matières en décomposition (purin, égouts, silos agricoles, lisier, asphalte,…)

L’exposition est faible dans la population générale et concerne principalement les habitants à proximité de fermes et d'usines ainsi que les travailleurs d'entretien.

Caractéristiques : odeur d’œufs pourris, lipophile, incolore, inflammable et explosif, plus lourd que l’air, altère le goût de l’eau, demi-vie brève de 15 minutes. Odeur détectée à 0,02 ppm, irritation à 15-50 ppm, coma à 150 ppm, décès à > 1000 ppm. 

Effets :

  • Locaux irritatifs : muqueuses, conjonctives, VAS, VAI (risque d'ARDS), favorise le développement de BPCO
  • Blocage du cytochrome P450 par fixation sur le fer ferrique entraînant ainsi une anoxie cellulaire + acidose métabolique
  • Neurotoxique (lipophilie) : œdème cérébral, paralysie respiratoire centrale +- diverses séquelles (cognitives, tremblements, fatigue  chronique,...)
  • Coma, asystolie, décès par asystolie ou paralysie respiratoire centrale

Clinique :

  • Formes chroniques :
    • anomalies neuros/ neuropsychiques (tremblements, troubles ébrieux, perte de mémoire, asthénie, insomnies,…
    • BPCO, fibrose
    • Ischémie cardiaque
  • Formes aigues modérées (10-300 ppm) : signes irritatifs (toux, gastralgies, diarrhée, céphalées), arythmies cardiaques, syndrome alcoolique, hypoTA, vertiges
  • Formes aigue (400-700 ppm) : perte de connaissance, coma avec convulsions, dyspnée suffocante, ARDS, arrêt cardio-respiratoire, décès
  • Forme suraigüe : le décès inéluctable est la règle en cas d'exposition à des concentrations plus importantes

Diagnostic établi par les données biologiques : dosage du thiosulfate (diagnostic rétrospectif), acidose métabolique (reflet de la sévérité de l’exposition).

Prise en charge :

  • Stopper l’exposition (évacuer le patient du lieu d'exposition)… En cas de supicion d'intoxication à l'H2S (contexte), ne porter secours au patient qu’en portant un masque, sinon s’abstenir : risque de perte de conscience et de décès rapide ! Il n'est en effet pas rare que des secouristes soient morts en tentant de secourir des personnes exposées qui n'ont de ce fait de toute manière pas pu être sauvées.
  • Prise en charge supportive
  • Caisson hyperbare
  • Agents methémoglobinisants (ex : nitrites) : efficaces uniquement dans les minutes suivant l’exposition (car demi-vie courte).

Proscrire le thiosulfate de sodium et, bien entendu, le bouche à bouche en cas d'arrêt cardio-respiratoire !

H3P : phosphine = hydrogène phosphoré

Produit à partir de phosphures métalliques, d’acide phosphorique ou de phosphore blanc.

Sources : pesticide +++, rodenticide (rongeurs), aracticide.

Caractéristiques : odeur de poisson pourri ( ! si on le sent, il est généralement trop tard !), plus lourd que l’air, inflammable/ explosif. L’odeur est perçue à 1,5-3 ppm… alors que la valeur limite d’exposition est fixée à 0,3 ppm.

Effet : irritatif (caustique), inhibition du cytochrome oxydase, toxicité neurologique, cardiaque et  hépatique

Clinique :

  • En cas d’inhalation : douleurs thoraciques, dyspnée, OP, effets irritatifs (muqueuses, conjonctives, peau)
  • En cas d’ingestion : douleurs abdo, vomissements, diarrhée sanglante
  • Dans les 2 cas : survenue ensuite de signes :
    • Neurologiques : vertiges, céphalées, tremblements des extrémités, coma
    • Hépatiques : cytolyse et insuffisance hépatique
    • Cardiaques : arythmies
    • Acidose métabolique + hyperphosphorémie (+- hypocalcémie et hypomagnésémie secondaires)

Diagnostic :

  • Anamnèse +++
  • Acidose métabolique, hyperphosphorémie, hypocalcémie, hypomagnésémie

Traitement :

  • Lavage gastrique précoce
  • Symptomatique : supportif, prise en charge des arythmies et troubles hydro-électriques

Gaz halogénés : Chlore (le plus toxique), Brome, Iode, Fluor (le moins toxique)

A température ambiante, F et Cl sont des gaz, Br est liquide, I est solide. Ce sont tous des irritants puissants des voies aériennes (risque d'oedème pulmonaire lésionnel), conjonctives, muqueuses et de la peau (brûlures)

Le fluor

A l'état gazeux

  • Production : minerai (CaF2), composés HF (acide fluorhydrique).
  • Sources : industrie nucléaire (UF6 et SF6, isolant les disjoncteurs), fluorure de graphite dans les batteries longue durée au lithium.
  • Caractéristiques : couleur jaune pâle, réactif et corrosif, oxydant puissant avec réaction fortement exothermique.

A l'état solide

  • Sources : insecticides, raticides, antirouille ménager, industrie du verre et céramique, sidérurgie

Pharmacologie

Le Fluor s’accumule dans le corps, ++ par stockage dans les os (demi-vie osseuse de 8 ans contre 15 minutes dans le sang). Absorption par les voies digestives et respiratoires, élimination urinaire ++ (à 90%, 10% fécale)

Clinique

  • Gaz fluorés : irritation des VAS ( +- des VAI avec risque d'oedème pulmonaire lésionnel), muqueuses et peau
  • Sels fluorés :
    • Irritation modérée des muqueuses et peau
    • A faible dose : positif pour l’émail des dents et les os
    • A plus forte dose :
      • fluorose = stimulation ostéoblastique + inhibition ostéoclastique à ostéocondensation et déstructuration architecturale
        • douleurs articulaires à hyperostose à la RX (blanc++) à calcifications ligamentaires (+++ tendon d’Achille) à fragilisation de l’os sclérosé à fractures pathologiques et déformations osseuses.
        • Complication : radiculomyélite cervicale compressive
      • Marbrures brunes des dents
      • Pancytopénie (toxicité médullaire)
      • Diminution de la fertilité ?

Diagnostic

  • Biologie : hypocalcémie, pancytopénie, dosage du fluor
  • Urines : dosage du fluor
  • Radiographies : cervicale + des sites douloureux

Gaz toxiques (effets généraux et/ ou asphyxiants)

Gaz toxiques à effets généraux : hydrogène arsénié = H3As = Arsine

Production : contact entre un acide et un métal contenant de l’arsenic (courant)

Sources : métallurgie, détartrages (chauderie),… utilisé comme semi-conducteur en micro-électronique

Caractéristiques : odeur alliacée, gaz incolore, plus lourd que l’air, non irritatif

Effets : pénétration respiratoire, barrière alvéolo-capillaire, liaison aux GR, distribution générale. Demi-vie de 2-3 jours. Peut-être détecté dans les urines plusieurs semaines après l’exposition.

Clinique : symptomatologie progressive sur 2 à 24 heures (sauf intoxications suraigües) :

  • Hémolyse massive, intravasculaire, avec hémoglobinurie
  • Symptômes classiques : douleurs abdominales intenses, diarrhée, vomissements, hypovolémie, choc, insuffisance rénale aiguë
  • Cytolyse hépatique 2 à 3 semaines plus tard

Seuils : exposition à une concentration de 10 ppm durant 1 heure = intoxication sévère. 100 ppm durant 30 minutes : décès généralement inéluctable. 250 ppm : décès immédiat.

Diagnostic :

  • Biologie : hémolyse, Hb, haptoglobine, LDH, dosage As
  • Urines : hémoglobinurie, dosage As

Traitement :

  • Chélateurs (DMSA) per os (inutile pour les lésions existantes, but = prévenir des lésions ultérieures)
  • Prise en charge supportive

Gaz asphyxiants 

En cas d’incendie : toujours penser aux intoxications au CO et au CN. En cas de symptomatologie d’intoxication : caisson hyperbare (CO) + administrer vitamine B12.

Le CO : monoxyde de carbone

Production par combustion incomplète : anciennes chaudières, poêles, cheminées à charbon refoulant à l’intérieur, chauffe-eau,…

Caractéristiques : inodore, incolore, non irritant... passe toujours inaperçu !

Effets : fixation au Fe++ de l’Hb avec une affinité > 200 fois supérieure à celle de l’oxygène. Entraine donc la formation de COHb incapable de fixer l’oxygène responsable d'une asphyxie tissulaire.

La valeur seuil est de 50 ppm. Un non fumeur a habituellement 3% de COHb dans le sang, un fumeur 7%.

Clinique :

  • Exposition faible (jusqu’à 100 ppm) : baisse des performances physiques et intellectuelles (évaluation des distances, troubles visuelles, apprentissage), baisse de vigilance, degré d’ischémie cardiaque !!! (controversé pour insomnies et céphalées)
  • Exposition aigue : variable selon le degré d’intoxication (% de COHb) :
    • 10% : baisse d’acuité mentale, légère dyspnée
    • 20% : dyspnée à l’effort
    • 30% : céphalées, nausées, irritabilité, fatigue inexpliquée
    • 40-50% : vomissements, céphalées ++, perte de connaissance, possible Babinski bilatéral
    • 60-70% : coma, décès imminent

Diagnostic différentiels :

  • Intoxications alimentaires (douleurs abdominales ?)
  • Crises d’hystérie (antécédents ?)
  • Syndrome grippal (fièvre ?)
  • Alcoolisme (antécédents ? éthanolémie ?)
  • Crise migraineuse (antécédents ?)

Diagnostic : clinique, coloration cutanée rougeâtre, dosage du CO dans le sang pour confirmation

Prise en charge :

  • Mesures immédiates : ouvrir les fenêtres, stopper tout appareil suspect en fonctionnement, sortir les personnes, prélèvement sanguin dans tube hépariné (pour dosage CO), transport en ambulance avec O2th 15 l au non rebreathing mask
  • Caisson hyperbare (baisse du % COHb de ½ toutes les 4 heures) en cas de :
    • Perte de connaissance
    • Atteinte neurologique
    • Pathologie cardiaque ou pulmonaire préexistante
    • Altération de électrocardiographiques

Les methémoglobinisants : nitrites, chlorates, corps aromatiques, naphtalines, primaquine,…

Sources : engrais, additifs en charcuterie, allumettes, herbicides, désinfectants, colles, vernis, insecticides,... 

Transforment le Fe++ (ferreux) en Fe+++ (ferrique).

Favorisé par l’alcool, les troubles digestifs, chez les nouveau-nés (++ si prématurés) et les déficients en G6PD = favisme (++++) (déficit en NADPH nécessaire pour réduire la MetHb)

Le taux normal de metHb est < 1%, le taux considéré comme tolérable chez le travailleur est < 5% 

Clinique variable selon le degré d’intoxication (% en MetHb) :

  • 10% : cyanose (doigts, lèvres, joues)
  • 20% : céphalées, vertiges, tachycardie, coloration chocolat du sang
  • 60% : atteinte du SNC, collapsus, arrêt cardiaque
  • > 70% : décès imminent

Diagnostic biologique : hémolyse et dosage en MetHb

Traitement : antidote = bleu de méthylène (catalyse la transformation de Fe+++ en Fe++) et prise en charge supportive.

Les sulfhemoglobinisants : substances oxydantes 

Composé stable, cyanosant, irréversible. Réduction de la capacité de transport d’O2 + action sur l’Hb normale ! Ne pas confondre avec la sulfmethémoglobine (composé pouvant être en équilibre avec la methémoglobine). Le traitement hyperbare peut être utile au côté d'une prise en charge supportive.

XCN : les cyanures = acide cyanhydrique = acide prussique

(il existe du CN endogène en très très faible dose).

Production : gaz issu de la réaction du méthane avec l’ammoniac. Présent surtout dans les fumées d’incendies (HCN se dégage à partir de 600°). L’ion CN provient de différents composés : HCN, cyanogène, sels de CN (Na, Ca, NH3 : CN à action faible) (Cu, Ag, Au, Me, Co : CN à action forte), dérivés halogénés (ClCN, BrCN), acétate de CN (moins dangereux),… Pour mémoire, de nombreux composés de cette classe ont été utilisés, et le sont encore, comme armes chimiques, dont le Zyklon B (gaz des "chambres à gaz" nazies).

Caractéristique : liquide très volatil à l’odeur d’amande amère générant un gaz asphyxiant à absorption très rapide (quelques fractions de secondes) par les voies respiratoires, distribution rapide par les hématies, demi-vie inférieure à 1 heure dans le sang et de 1 heure dans l’organisme, transformation hépatique en ions thiocyanates et cyanocobalamine.

L’odeur est perceptible à partir de 0,2 ppm. Irritation à partir de 15 ppm. Décès en cas d’exposition de 30 minutes à 100-150 ppm, décès quasi-instantané à 250-300 ppm.

Il existe d’autres formes : le cyanure-élément (mortel en cas d’ingestion de 200 mg) et les nitriles capables de traverser la peau.

Effet : fixe le cytochrome P450, bloquant ainsi la chaîne respiratoire cellulaire. 

Clinique (toujours y penser en cas d’incendie !) :

  • Exposition aiguë :
    • Phase d’excitation puis de dépression (détresse respiratoire + bradycardie = 1er signe d’alerte en milieu professionnel) évoluant vers un coma, une paralysie et un décès par arrêt respiratoire.
    • Téguments rosés (! diagnostic différentiel = intoxication à la metHb !)
    • Autres diagnostics différentiels : syndromes coronariens aigus et accidents vasculaires cérébraux, intoxication au CO
  • Exposition chronique :
    • Céphalée, fatigue, altérations olfactives et gustatives, dyspnée, vomissements, amblyopie, névrite optique, hypothyroïdie,…
    • Possible dans certains travaux industriels, fumigations, fumées de tabac, noyaux d’abricot, amandes, pesticides,…

Diagnostic difficile vu la demi-vie brève :

  • Acidose lactique en intoxication massive (valeur pronostique péjorative)
  • En cas d’exposition chronique : dosage de SCN (résultats variables)
  • Possibles hypovitaminose B12 et hypo-acide folique, possible hypothyroïdie
  • Principal diagnostic différentiel = intoxication au CO

Traitement d’extrême urgence :

  • Vitamine B12 = hydroxycobalamine = traitement de choix. Potentialise la transformation hépatique.
  • Nitrile d’amyle (crée de la metHb qui va fixer le CN)
  • +- thiocyanates (lent)
  • Chélateur  EDTA
  • Prise en charge supportive

De la légalité de l'usage des gaz irritants et toxiques comme armes de combat

Comme armes de guerre : un long parcours débuté en 1925 vers une interdiction totale achevée en 1993

Suite à l'usage massif de gaz de combats durant la première guerre mondiale, la Convention de Genève de 1925 (entrée en vigueur en 1928) avait pour objectif d'interdire l'usage de toute arme chimique "à la guerre". Le texte fut malheureusement libellé comme concernant les "gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques".

Outre l'usage militaire illégal par des états signataires de tels moyens, généralement nié officiellement, la lettre du texte permit à divers Etat d'utiliser massivement des gaz irritants ou des armes chimiques toxiques n'étant pas des gaz (l'utilisation massive de pesticides comme arme de guerre en Asie du sud-est par l'armée américaine durant la guerre du Vietnam en est un des exemples les plus flagrants) en se prévalant respecter la législation internationale.

Après de longues décennies, un accord fut enfin trouvé pour un protocole de la Convention de Genève plus large en 1993 (entrée en vigueur en 1997) :

  • Le protocole interdit non plus les seuls "moyens bactériologiques" mais les "moyens biologiques" au sens large.
  • Le protocole interdit désormais clairement non plus les seuls gaz mais toutes les "armes chimiques".
  • Malgré certains passages encore équivoques, l'acception d'armes chimiques est à comprendre au sens large et ne concerne pas seulement les agents toxiques et asphyxiants. Il interdit en particulier nommément les "agents de lutte anti-émeutes en tant qu'armes de guerre", ce qui inclut également de facto les irritants primaires et secondaires.
  • Le protocole inclut dans l'interdiction à visée militaire non seulement les agents chimiques et biologiques mais aussi leurs "constituants", les "réactifs" nécessaires à leur fabrication, toute "installation" dédiée à leur fabrication ou stockage et "tout matériel en liaison directe" avec ces agents.

L'interdiction au regard du droit international est donc aujourd'hui réellement totale mais limitée à une guerre entre deux Etats distincts.

Comme armes civiles : toujours utilisés massivement à ce jour dans quasi tous les pays

De façon assez paradoxale, alors que le droit international interdit désormais formellement l'usage de ces gaz comme armes de guerre entre Etats, elle n'interdit nullement aux Etats toute autre utilisation. En ce compris leur utilisation comme arme par un Etat tant dans la lutte contre la criminalité et la délinquance que dans le cadre d'une guerre civile, d'une révolte, d'une manifestation ou le maintien de l'ordre au sens large. Elle n'interdit pas non plus aux Etats de permettre à ses citoyens de s'en doter comme armes à des fins personnelles.

La convention de Genève dans sa dernière version précise même textuellement les "fins non interdites par la Convention, notamment (...) le maintien de l'ordre public".

Chaque Etat est donc libre de ses pratiques en la matière et le plus grand usage légal des "gaz irritants primaires" est malheureusement toujours, en ce compris dans l'Union Européenne, le "contrôle" des manifestations, justifiant toujours pleinement l'appellation d'une partie de cette classe "agents anti-émeutes".

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD

Bibliographie

CICR, Convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques et sur leur destruction, CICR, 2018

Micak RP, Inhalation injury from heat, smoke, or chemical irritants, Uptodate, 2022

SDN, Protocole concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques (Genève, 17 juin 1925), in "Recueil des traités de la Société des Nations", Vol.XCIV, p. 65, SDN, 1929

Singh J et al., Hazardous Gases, Elsevier, 2021