Maladie de Crohn

(Redirigé depuis Crohn)
Aller à : navigation, rechercher

Le Crohn ou maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique idiopathique du tube digestif. Elle se caractérise par des atteintes segmentaires transmurales, la présence de granulomes et de fibrose et de fréquentes atteintes anopérinéales et extra-digestives. Ces lésions résultent d’une réponse immune anormale envers la flore intestinale (rupture de tolérance qui serait favorisée par des  facteurs environnementaux et génétiques [des mutations du gène CARD 15 sur locus IBD-1 présentes chez 3 à 15% des malades]).

Il s'agit d'une maladie rare (incidence d'environ 3 à 10/ 100.000 habitants/ an), touchant préférentiellement les sujets blancs d'Europe et d'Amérique du Nord. Son pic de déclaration clinique se situe entre 20 et 30 ans et il existe une légère prédominance féminine. Ses facteurs de risque sont le tabagisme (déclaration et rechutes, y compris tabagisme passif) et les antécédents familiaux.

Facteurs de risque

Les seuls facteurs de risque démontrés du Crohn sont le tabagisme (risque relatif multiplié jusque par deux) et les antécédents familiaux de Crohn. D'autres facteurs de risque (régime alimentaire, hygiène, antécédents d'infections, contraception,...) ont été évoqués mais leur rôle n'a jamais pu être démontré.

Clinique

La maladie de Crohn évolue par poussées d’intensité variable entrecoupées de rémissions plus ou moins complètes et prolongées.

La clinique, dominée par la diarrhée et les douleurs abdominales, dépend essentiellement du siège et de la nature (inflammation pariétale, sténoses, abcès, perforations) des lésions. Zones du tube digestif atteintes : iléon + colon (40%) - iléon (30%) - colon +- anopérinéal (30%).

Les manifestations extra-digestives sont fréquentes. Elles prédominent fréquemment sur les manifestations digestives dans les cas pédiatriques.

Inflammation pariétale

  • Diarrhée de caractéristiques variables (motrice, glairo-sanglante, syndrome rectal)
  • Hémorragies digestives basses - plus rares que dans la RCUH
    • Hémorragies massives : rares mais graves et récidivantes
  • Masse abdominale palpable sous forme de "boudin" sensible en fosse iliaque droite

Sténoses digestives

Elles se manifestent fréquemment par un syndrome de König : douleur post-prandiale tardive fixe (généralement en fosse iliaque droite = "pseudo-appendicite") d’intensité rapidement progressive avec météorisme, borborygmes, sensation de blocage des gaz, le tout cédant dans une débâcle gazeuse ou fécale. Reconnaissance souvent tardive lors de la survenue d’un épisode occlusif.

Suppurations et abcès abdominaux

Secondaires à des fistules internes, siégeant surtout en amont de zones sténosées (douleurs fixes lancinantes, associées ou non à une masse abdominale), souvent associées à des manifestations systémiques marquées.

Lésions anopérinéales et fistules

Si présentes, elles constituent un argument diagnostic majeur : ulcérations, fissures, fistules, abcès, sténoses.

Manifestations systémiques

Amaigrissement quasi constant en phase active, anorexie, asthénie, fièvre modérée (38 à 38,5°C, plus si abcès).

Manifestations extra-digestives

L'intensité de leur activité est généralement parallèle à celle de l’entérocolopathie :

  • Lésions cutanées : érythème noueux, dermatoses
  • Aphtes buccaux et/ ou génitaux
  • Lésions oculaires (uvéite)
  • Arthralgies/ (arthrites)
  • Thromboses, amylose rénale, anémie hémolytique auto-immune, péri-myocardite,…
  • Associées à la malabsorption :
    • Lithiases rénales oxaliques
    • Ostéomalacie
    • Ostéonécrose
    • Hippocratisme digital
  • Associées mais d’évolution indépendante :
    • Arthropathies séronégatives (spondylarthrite ankylosante par ex)
    • Cholangite sclérosante primitive
    • Plus rares : asthme, maladies neurologiques démyélinisantes

Complications

Carences (sur malabsorption chronique), sténoses et iléus, colectasie et mégacolon toxique (bien moins fréquents que dans la RCUH), perforation intestinale et hémorragie massive, dysplasies, cancer colorectal (risque semblant plus faible que dans la RCUH du fait des atteintes inflammatoires segmentaires plutôt que continues comme dans la RCUH).

Diagnostic et mise au point

L'évocation diagnostique repose de façon déterminante sur l'anamnèse et clinique.

Biologie

Augmentation des leucocytes et/ ou de la CRP (++ pour suivre l’activité de la maladie), de la VS, des plaquettes, anémie inflammatoire et carentielle, déficits vitaminiques (++ folates et B12), hypoalbuminémie, hypocholestérolémie.

Les anomalies sont peu spécifiques mais surtout utiles pour le diagnostic différentiel avec un trouble intestinal fonctionnel.

Sérologies : fréquence  élevée d’ASCA et de pANCA (comme dans la RCUH), anti-I2 et OmpC.

Imagerie

  • RX AAB : utile dans les formes graves pour dépister un pneumopéritoine, une colectasie ou une sacro-iliite.
  • Transit du grêle : exam de première ligne le plus utile (exploration endoscopique du grêle difficile) : ulcérations, sténoses, fistules, masses  inflammatoires (relief en pavé)
  • CT-scanner abdominal ou entéroscanner
  • Entéro-IRM

Endoscopie et biopsies

Souvent réalisée d'emblée désormais en cas de forte suspicion clinique.

Inspection de l’ensemble du tube digestif (iléocoloscopie + OGDuodénoscopie). Ulcérations d’étendue et de profondeur variable sur muqueuse (sub)-normale,… L’endoscopie peut être également thérapeutique (dilatation de sténoses, pose d'endoprothèses,…) + dépistage de dysplasies. Les prélèvements histologiques permettent le diagnostic différentiel avec des colites infectieuses, ischémiques ou toxiques.

Capsule endoscopique

En cas d’endoscopie et imagerie négatives. Contre-indication : signes de sténoses.

Evaluation de la sévérité

Utilisation de la CDAI (Crohn’s disease activity index).

Prise en charge thérapeutique - Traitements

A noter qu'un Crohn asymptomatique ne nécessite qu'un simple suivi et aucun traitement.

Particularité chez la femme enceinte

Avis gynécologique systématique avant instauration du traitement, mais de toute façon :

  • Ne pas dépasser 2 g/ j pour le 5-ASA
  • L'allaitement est contre-indiqué en cas de traitement par azathioprine ou 6-mercaptopurine
  • Le méthotrexate est proscrit durant la grossesse
  • Eviter l’infliximab durant au moins le dernier trimestre

Mesures générales

  • Arrêt du tabac
  • Diète lors des crises : régime sans fibres +- compléments (vitamines,…)

Traitement chronique = de fonds en cas de poussées récidivantes

  • Premier choix : immunosuppresseurs classiques. Azathioprine (2-2,5 mg/kg/j) ou 6-mercaptopurine (1,5 mg/kg/j) durant plus de 18 mois. Surveillance tous les trimestres de la formule sanguine et des enzymes hépatiques.
  • Deuxième choix : Méthotrexate (25 mg/ semaine IM/SC) + 5-10 mg de folates le lendemain de chaque injection.
  • Troisième choix : biothérapies. Infliximab (anti-TNF-α).
  • Certains préconisent le 5-ASA en traitement de fond, sans preuve d'efficacité.

Traitement en phase aiguë

  • Traitement symptomatique.
  • 5-ASA (mézalasine) 4g/ j (! surveiller la créatinine) et/ou corticoïdes per os 1 mg/ kg/ j d’équivalent prednisone durant 3 à 7 semaines → si échec : corticothérapie IV par prednisone 1mg/ kg/ j (et/ ou antibiothérapie par ciprofloxacine, contesté) et/ ou (nutrition parentérale, utilisée avant l’introduction de l’infliximab pour les patients refusant les corticoïdes). On peut également utiliser des corticoïdes locaux (budénoside, 9 mg/ j durant 6 semaines). L’Infliximab peut-être utilisé en cas de résistance aux corticoïdes ou d’emblée pour les poussées sévères.

La limitation de l’utilisation des corticoïdes est l’enjeu majeur de la stratégie thérapeutique de fait de ses effets secondaires (acné, oedèmes, troubles du sommeil et de l’humeur, troubles psychiatriques variables, hypertension artérielle, intolérance au glucose, hypokaliémie, ostéoporose, cataracte, myopathie, infections,…) ! Commencer à doses maximales, arrêter par paliers de 10 à 20 mg toutes les semaines. Adjoindre un supplément de vitamine D et calcium (+- bisphosphonate en cas d’ostéoporose avérée)

La corticodépendance est définie comme l’impossibilité de réduire la dose à moins de 10mg/ j 3 mois après le début de la cure ou la survenue d’une récidive moins de 3 mois après la fin de la cure. La corticorésistance est définie comme la persistance d’une maladie active malgré une dose d’au moins 0,75 mg/ kg/ j durant 4 semaines.

Schéma décisionnel :

  • Poussée légère à modérée :
    • Iléale +- colique droite :
      • Budésonide
    • Colique :
      • Mésalazine
    • Colique gauche ou rectale :
      • Budésonide et/ ou mésalazine orale et topique
  • Poussée sévère ou échec des traitements précédents :
    • Prednisone orale
      • Echec de la prednisone per os :
        • Tenter prednisone IV
          • Si corticorésistance : diminuer Infliximab +- instaurer azathioprine ou la 6-mercaptopurine
            • En cas d'échec : chirurgie
          • Corticodépendance :
            • Azathioprine ou 6-mercaptopurine
          • En cas d'échec ou intolérance : infliximab +- méthotrexate

Traitement des formes ano-périnéales

  • Ecoulement purulent : antibioathérapie, immunomodulateurs
  • Abcès collecté : incision + drainage
  • Fistules : drainages par fils de séton
  • Echec de ces traitements : infliximab

Evolution

Les profils évolutifs sont très variables, imprévisibles. 80% des patients sont opérés à 20 ans. Les récidives post-chirurgie à 10 ans sont de 40 à 80%.

Il y a peu de corrélation entre les rémissions clinique, biologique et endoscopique. La CRP est néanmoins un bon marqueur d’activité de la maladie.

75 à 90% des patients maintiennent leurs activités professionnelles. La plus grande prévalence de troubles intestinaux fonctionnels surajoutés chez ces patients complique le suivi (risque d’escalade thérapeutique injustifiée).

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD