Antibiorésistance (résistance aux antibiotiques)

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La résistance aux antibiotiques est un phénomène qui a pris au cours du temps une ampleur considérable et qui met en péril l’avenir même des agents anti-infectieux à notre disposition et donc l’avenir de la prise en charge de nombre d’infections. Il s’agit là d’un des plus grands défis de santé publique des années à venir.

On peut diviser les mécanismes de résistance en plusieurs grands mécanismes :

  • Présence d’une enzyme inactivant l’antibiotique (ex b-lactamases) plusieurs dizaines d’enzymes connues à ce jour, et évolution permanente
  • Présence d’une voie alterne non inhibée par l’antibiotique
  • Mutation ou modification de la cible avec réduction d’affinité (ex mutations ribosomiales, mutation de PBP, …)
  • Réduction dans la capture de l’antibiotique (porines)
  • Mécanisme actif d’efflux de l’antibiotique
  • Élimination de l’antibiotique
  • Protection de l’enzyme cible par liaison à une autre protéine

Ces mécanismes de résistances peuvent être chromosomique ou plasmidiques (ces derniers étant mobiles = diffusion rapide dans une population bactérienne). Certains mécanismes sont intrinsèques et constitutifs à une espèce (ex efflux de tigecycline chez Proteus), d’autres sont intrinsèques et inductibles (ex Enterobacter). D’autres, chromosomiques au départ peuvent ensuite être transmis par des plasmides. Enfin, certains plasmides véhiculent plusieurs gènes de résistance. Ces mécanismes sont rapidement évolutifs. Ainsi, on décrit plus de 300 b-lactamases.

La dissémination de ces mécanismes de résistance est favorisée par la surconsommation en antibiotiques, la globalisation (transferts intercontinentaux), et les problèmes d’hygiène (dans la communauté ou à l’hôpital).

Quelques phénomènes de résistance problématiques

Le MRSA

Les MRSA , staphylocoques dorés résistant à la méthicilline, se répartissent en un ensemble de clones soit hospitaliers (HA-MRSA) soit communautaires (CA-MRSA) soit associés au bétail et donc secondairement transmis chez les fermiers et les vétérinaires. Le gène mecA qui confère cette résistance code pour une PBP modifiée (PBP2a) qui a une affinité réduite pour toutes les b-lactames (à l’exclusion notable de la ceftaroline).Il en résulte une très nette réduction des options thérapeutiques et une réduction des chances de survie en cas d’infection sévère.

 

Le phénomène actuellement présent dans les institutions de soins de santé (hôpitaux et MRS) (HA-MRSA) est apparu dans les années 90’. On a pu démontrer une dissémination des hôpitaux vers les MRS et vice versa comme en témoigne la similarité des clones entre hôpital aigu et MRS d’une même région. Les facteurs de risque principaux de portage d’un MRSA sont l’hospitalisation, la résidence dans une MRS, et l’exposition récente à des antibiotiques Un ensemble d’action de santé publique ont permis de réduire très significativement l’incidence d’acquisition, notamment par la promotion de l’hygiène des mains.

Une caractéristique très importante du MRSA, et unique pour les germes R en 2015, est la possibilité de décontaminer le porteur chronique par un traitement topique associant la mupirocine, antibiotique topique, et un savon désinfectant à base de chlorhexidine (ou l’équivalent en produits iodés). Le succès de cette décontamination dépend de l’intensité de la colonisation. Un patient porteur uniquement au niveau nasal a quasiment 100% de chances de succès, tandis qu’un patient présentant des lésions chroniques (escarres, bronchite chronique etc.) n’en a que très peu. In fine, selon la répartition des facteurs de risque et niveau de portage, environ 30% des porteurs sont décontaminés avec succès.

 

Les souches dites communautaires (CA-MRSA) appartiennent à d’autres clones, sont souvent porteuses de toxines (comme la toxine de Panton-Valentin) (PVL) et sont responsables de tableaux cliniques assez spécifiques : infections cutanées ne répondant pas à des traitements standards, pneumonies nécrosantes sévères. Ces souches circulent actuellement relativement peu en Belgique. Aux Etats-Unis où elles ont été mises en évidence, elles sont caractérisées par leur propension à se disperser dans des communautés non liées aux soins de santé, relativement closes avec des contacts étroits (prison, club de sport, minorités ethniques, communauté gay).

Les b-lactamases à spectre élargi (BLSE)

Les b-lactamases « historiques » à spectre relativement étroit ont été contrées par la mise sur le marché d’antibiotiques non hydrolysables (l’oxacilline par exemple est résistante à l’hydrolyse par une pénicillinase) ou l’adjonction d’inhibiteurs de la b-lactamases tels que l’acide clavulanique (présent dans l’association amox-clav) ou le tazobactam (présent dans l’association pipe-tazo).

Les b-lactamases à spectre élargi clivent un nombre plus grand de molécules, avec des affinités différentes pour chacune d’entre-elles. On parle ainsi par exemple de cefotaximase. Elles sont devenues problématiques sur le plan clinique en Belgique dans les années 90’, conférant à de nombreuses entérobactéries des profils de résistance nécessitant l’utilisation soit d’un carbapénème, soit d’antibiotiques d’autres classes. Ces entérobactéries cependant ont accumulé progressivement plusieurs mécanismes de résistances rendant la prise en charge de ces patients souffrant d’infections à ces germes toujours plus difficiles. Ces mécanismes de résistances se rencontrent désormais tant dans la flore intra- qu’extrahospitalière. Il n’est donc plus rare d’observer des infections acquises dans la communauté et pour lesquelles nous ne disposons plus que de traitement par voie parentérale (nécessitant hospitalisation ou soins lourds à domicile).

Les entérobactéries porteuses de carbapénémases

 

Un des phénomènes les plus préoccupants actuellement est celui des CPE pour carbapenemases producing enterobacteries. Les entérobactéries productrices de ce type d’enzymes sont résistantes à un très large panel de b-lactames, y compris les carbapénèmes. De surcroit, il n’est pas toujours facile de détecter in vitro la présence du mécanisme de résistance et d’en inférer l’efficacité ou pas d’une antibiothérapie.

Les outils de biologie moléculaire permettent, eux, de caractériser formellement les mécanismes présents. La carbapénémase le plus souvent identifiée en Belgique actuellement est OXA-48.

Le traitement d’infections causées par ces germes fait appel soit à des molécules non apparentées (telles que les quinolones, aminoglycosides, tigecyclyne, …) soit, à cause de phénomènes de multirésistance, à des associations de celles-ci.

NB : les carbapénémases ne sont pas spécifiques aux entérobactéries, et on en isole également dans d’autres espèces telles que par P aeruginoso ou Acinetobacter etc.

Les entérocoques résistant aux glycopeptides

 

La résistance aux glycopeptides est caractérisée par plusieurs phénotypes selon le gène de résistance porté (VanA VanB et VanC).Certains gènes sont chromosomiques et intrinsèques à certaines espèces (ex VanC de Enterococcus gallinarum), d’autres sont plasmidiques et donc sujets à dissémination (ex VanA et VanB). Ces deux derniers mécanismes confèrent aux entérocoques un niveau de résistance très élevé qui contrindique l’utilisation de glycopeptides (pour des souches déjà en général résistantes à l’ampicilline). Le clinicien fait alors face à un défi thérapeutique majeur. Certaines de ces souches ont été à l’origine d’épidémies nosocomiales redoutables.

La résistance aux quinolones

 

Largement utilisées, elles ont induit une augmentation progressive de résistance problématique au sein des entérobactéries, mais également par exemple au niveau du gonocoque. Ceci hypothèque largement le futur de cette classe d’antibiotiques.

La multirésistance

 

La dissémination depuis plusieurs dizaines d’années d’un grand matériel génétique rapidement évolutif conduit à l’apparition de souches dites MDR, multirésistantes , voire panR, résistantes à tous les antibiotiques disponibles.

Ceci conduit à des impasses thérapeutiques qui deviennent de plus en plus fréquentes, justifie des combinaisons et/ou des posologies toxiques (nécessitant ensuite des techniques médicales invasives telles que dialyse) et, en dernier recours, l’utilisation de techniques chirurgicales délabrantes (amputation, …).

La carte ci-dessous illustre à la fois la problématique de la résistance et le gradient nord – sud que l’on observe pour une part importante de ces mécanismes à propos de P aeruginosa

 

Pourcentage de P aeruginosa MDR[1]

(source ECDC)


 

Les bactéries sont souvent résistantes à plusieurs antibiotiques en combinant des facteurs de réduction de perméabilité, d’efflux, etc. codés par de multiples gènes de résistances. Cette multirésistance peut être la conséquence de l’acquisition successive de gènes de résistance mais également de l’acquisition en bloc des différents gènes au départ de transposons ou de plasmides. Le clinicien se trouve alors face à des patients présentant des infections à microorganismes qui apparaissent R à quasiment tous les antibiotiques disponibles. Cette situation exceptionnelle il y a quelques années devient de plus en plus fréquente. Ex : épidémie d’infections à Acinetobacter baumannii  multirésistants.

 

Il ne s’agit là que de quelques exemples mais de nombreux problèmes autres problèmes préoccupant apparaissent (ex résistance du BK aux antituberculeux, gonocoques résistants aux céphalosporines…). Ces risques et les conséquences pour la santé publique justifient amplement toutes les initiatives visant à pratiquer de l’épargne antibiotique (c’est-à-dire réduire au maximum leur utilisation pour en garantir l’efficience. A titre d’illustration, les CDC américains estiment en 2013 à 2.300.000 cas le nombre d’infections dues à des germes multirésistants ou à C difficile et à 37.000 le nombre de décès par an !

Stratégie de lutte contre la résistance aux antibiotiques

 

Outre les stratégies de prévention de la transmission des microorganismes (voir plus loin), la stratégie de lutte vise essentiellement à :

  • Réduire absolument l’exposition aux antibiotiques (tant en médecine humaine qu’en utilisation vétérinaire)
  • Optimaliser  l’utilisation des antibiotiques en fonction de leurs caractéristiques pharmacodynamiques (domaine en voie de développement – définir les fenêtres de concentration les moins à mêmes de favoriser l’émergence in vivo ou la diffusion de mécanismes de résistance)
  • Optimaliser l’exposition des bactéries aux multiples classes d’antibiotiques (par rotation plus ou moins rapide de l’exposition par exemple, le cycling)  - approches actuellement peu convaincantes

Quoiqu’il en soit, ce risque justifie en tout cas les efforts mis à développer les approches « qualité » en antibiothérapie (voir plus loin).



[1] MultiDrugResistant = résistant à aux moins 3 classes (définition internationale)

Auteur(s)

Pr Baudouin Byl, MD, PhD

(Mis en forme, revu et modifié par Dr Shanan Khairi, MD)