Rhabdomyolyse

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Une rhabdomyolyse est un syndrome clinico-biologique résultant de la destruction massive de cellules musculaires striées entraînant la libération de leur contenu dans la circulation sanguine. Ses causes sont nombreuses mais la majorité des cas résultent d'un crush syndrome (écrasement musculaire prolongé).

Son diagnostic s’appuie sur une accumulation mal définie de signes cliniques et biologiques. Certains considèrent cependant qu’un taux sérique de créatine kinase (CK) supérieur à 5000 UI/ litre (les normes habituelles, variables selon les laboratoires de référence, étant de 25 à 190 UI/ litre) suffit à affirmer la rhabdomyolyse… d’autres retiennent une limite fixée à 1000… d’autres…

Quoi qu'il en soit, une rhabdomyolyse est susceptible d’avoir de graves complications, difficilement prédictibles, pouvant nécessiter une prise en charge en soins intensifs. La morbi-mortalité est très variable selon les caractéristiques du patient, l'étiologie et les complications (la survenue d'une insuffisance rénale aiguë marquant une mortalité de 20 à 50%).

Clinique

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Rhabdomyolyse - sémiologie clinique

La sémiologie clinique est variable :

  • Signes "classiques" : une faiblesse, des myalgies et des urines foncées (décrites classiquement comme "porto", du fait de la myoglobinurie) sont quasi-constantes mais fréquemment transitoires
  • Œdème musculaire, muscles tendus et douloureux à la palpation
  • Signes d’hypovolémie (séquestration hydro-sodée par les tissus musculaires lésés)
  • Signes cutanés possibles : rash, éruption maculo-papuleuse, phlyctènes
  • Signes étiologiques variant selon la cause… pouvant faire passer les signes de la rhabdomyolyse proprement dite inaperçus ou au second plan…
  • Bilan lésionnel complet en cas de rhabdomyolyse traumatique
  • Tableaux "explosifs" (se rencontrant généralement lors de crush syndromes) : œdème musculaire en augmentation rapide avec signes d’ischémie, paralysies et troubles sensitifs (syndrome des loges), signes d'hypovolémie voire véritable choc, troubles neuro-psychiatriques, hyperventilation (acidose métabolique), hyperkaliémie avec arythmies, signes d'insuffisance rénale aiguë, détresse respiratoire, fièvre,… 

Dans les cas d’écrasements de membres (tremblements de terre, éboulements, compressions prolongées) ou de polytraumas, une rhabdomyolyse doit toujours être recherchée. Dans les autres cas, la rhabdomyolyse est souvent à l’arrière-plan d’une pathologie médicale complexe et sa détection fort aléatoire…

Examens complémentaires

  • Biologie et gazométrie :
    • Élévation des enzymes musculaires : CK (le plus sensible) [les CK-MB peuvent également augmenter dans une moindre mesure, sans pour autant signer une atteinte cardiaque], myoglobine, GOT, GPT, LDH
    • Troubles ioniques (signe de gravité) : hyperkaliémie, hypocalcémie, hyperphosphorémie
    • Troubles de la fonction rénale (signe de gravité) : augmentation de la créatinine et de l’acide urique
    • Augmentation des lactates
    • Acidose métabolique et hyperventilation compensatoire (susceptible d’entraîner une détresse respiratoire)
  • Urines : Myoglobinurie
  • Electrocardiogramme : recherche d'arythmies et signes d'hyperkaliémie
  • Divers selon complications et orientation étiologique

Complications

Insuffisance rénale aiguë (10 à 30%)

Elle survient dans 10 à 30% des rhabdomyolyses, signant une mortalité de 20 à 50%. Les rhabdomyolyses représenteraient 5 à 15% des causes d’insuffisance rénale aiguë.

La pathogénie de l'atteinte rénale demeure incertaine. On incriminait classiquement la précipitation de myoglobine dans les tubules, mais des études récentes évoquent le rôle du stress oxydatif secondaire à la libération d’endotoxines, d’une vasoconstriction rénale et de l’hypovolémie…

Sa survenue est difficilement prédictible. Aucune étude n'a pu la corréler à l’importance de la myoglobinurie ou de la myoglobinémie. Par contre, un lien a été établi avec le taux de CK, l’importance des troubles ioniques, du taux de bicarbonate et de l’hypovolémie.

Il est à noter qu’un taux de créatinine significativement élevé peut être observé au début d’une rhabdomyolyse… sans signer une insuffisance rénale (libération de créatinine préformée par les cellules musculaires).

Syndrome des loges

Un syndrome des loges peut survenir du fait de l'œdème musculaire (> augmentation de pression > occlusion veineuse et abolition du retour veineux > occlusion capillaire).

On retrouve alors cliniquement des myalgies intenses résistantes aux antalgiques (la disparition des douleurs signe un stade généralement dépassé), une impotence fonctionnelle du membre atteint, une hypoesthésie, un membre froid, des anomalies de perception des pouls périphériques,... La viabilité du membre concerné est compromise.

Le traitement consiste en une fasciatomie immédiate.

Troubles ioniques

Risque d’hyperkaliémie, d’hypocalcémie (secondaire à l’hyperphosphorémie et à la précipitation de calcium dans les tissus lésés) et d’hyperphosphorémie. Ils imposent un monitoring ionique et électrocardiographique.

Insuffisance respiratoire aiguë

Sur hyperventilation compensant l’acidose métabolique.

Choc hypovolémique

Sur l’hypovolémie résultant de la séquestration hydro-sodée musculaire, sur d’éventuelle pertes hémorragiques en cas de trauma et/ ou sur déshydratation secondaire à une éventuelle immobilisation prolongée.

Etiologies

Bien que dominées par le crush syndrome, elles sont malheureusement innombrables… les principales sont :

ISCHEMIQUES

Crush Syndrome (écrasement musculaire prolongé)

Obstruction artérielle aiguë

Traumas musculaire

Drépanocytose

Brûlures

Syndrome postural (positions vicieuses prolongées) et chirurgies prolongées

Hyperthermie d’effort

Agents convulsivants et crises épileptiques

Agitation intense

DEPENDANTES DU TERRAIN

Fragilité musculaire acquise

Alcool

Héroïne, cocaïne

Neuroleptiques

Troubles hydro-électriques

Myopathies inflammatoires acquises (polymyosites et dermatomyosites)

Myopathies héréditaires

Hyperthermie maligne

Myopathies métaboliques

Myopathies dégénératives (dystrophies)

INDEPENDANTES DU TERRAIN

Mécanismes connus

Atteintes mitochondriales : intoxication au CO

Atteinte réticulaire : caféine, théophylline, amphétamines, phencyclidine

Atteinte sarcolemmale : antilipémiants (statines), venins de serpents ou d'araignées

Mécanismes inconnus

Infections bacériennes, virales, parasitaires ou fongiques

DIVERS

État de mal asthmatique

Intoxication à l’eau

Diabète insipide

Hypothyroïdie et hyperthyroïdie

Hypothermie

Rhabdomyolyses à prédominance ischémique

Le crush syndrome (écrasement prolongé de membres entraînant des lésions tissulaires, directement et par ischémie) est la principale cause de rhabdomyolyse massive.

Rhabdomyolyses dépendantes du terrain

L’alcoolisme est retrouvé dans 30 à 60% des grandes séries de rhabdomyolyses non traumatiques. Les épisodes surviennent typiquement lors d’une majoration transitoire de l’intoxication alcoolique chronique. Il s’agirait d’une fragilité particulière du muscle de l’alcoolique (myopathie alcoolique par toxicité directe sur les membranes musculaires ?)… dont l’hygiène de vie l’expose en outre à des facteurs précipitants (coma éthylique, delirium tremens, crises épileptiques, dénutrition, infections, troubles ioniques,…).

L’héroïne (ou l’un de ses adjuvants courants tel que la strychnine) pourrait induire une véritable myopathie toxique. La cocaïne aurait quant à elle un effet toxique non spécifique (ischémie musculaire par vasoconstriction, anomalies du métabolisme oxydatif). Des cas de rhabdomyolyse au cours d’un syndrome malin des neuroleptiques ont également été rapportés.

De nombreux troubles ioniques (hypokaliémie, hypomagnésémie, hypophosphorémie, hypercalcémie, hyponatrémie, acidose métabolique,…) ont été incriminés dans des cas de rhabdomyolyse. Il semble qu’il s’agisse plus de facteurs favorisant (perturbation de l’homéostasie et fragilisation de la membrane cellulaire) que de véritables étiologies.

Des cas de rhabdomyolyses compliquées d'insuffisance rénale ont été exceptionnellement rapportés dans le cadre de dermatomyosites et polymyosites.

L’hyperthermie maligne est une maladie autosomique dominante rare (1/ 100.000 habitants) du muscle strié caractérisée par des crises d’hypercatabolisme paroxystique induites par certains agents anesthésiques (hallogénés et succinycholine) chez des sujets en bonne santé apparente (myopathie infraclinique). La crise se caractérise par une tachycardie, une polypnée, des arythmies ventriculaires, une hypertonie et des spasmes musculaires, une rhabdomyolyse, une élévation de la température corporelle de 1 à 2° toutes les 5 à 10 minutes. Le diagnostic se fait rétrospectivement par biopsie de cellules musculaires exposées à des agents hallogénés. L’évolution est rapidement fatale en l’absence de traitement (arrêt immédiat des anesthésiques, suspension de la chirurgie, dantrolène IV, ventilation en O2 pur, refroidissement corporel, prise en charge des arythmies, hydratation et alcalinisation IV… transfert en soins intensifs une fois le patient stabilisé. En cas de traitement rapide et approprié, la mortalité reste > 10%.

D’autres myopathies héréditaires très rares peuvent être incriminées : dystrophies (Duchenne,…), particulièrement suite à une anesthésie générale à l’aide de succinylcholine, ou myopathies métaboliques dans des situations très particulières (le jeûne pour le déficit en carnitine transférase, l’effort pour les déficits en phosphorylase musculaire ou en phosphofructokinase).

Rhabdomyolyses indépendantes du terrain

Des cas ont été rapportés lors d’intoxications au CO (atteinte de la chaine respiratoire mitochondriale), à la caféine ou à la théophylline ou aux amphétamines (atteinte du canal calcique réticulaire). Les normolipémiants (statines !) à doses thérapeutiques, certains venins de crotales ou d'araignées sont susceptibles d’entraîner une rhabdomyolyse par atteinte de la membrane musculaire ou du sarcolemme.

De très nombreux agents infectieux (virus, bactéries, parasites, champignons) peuvent, très rarement, entraîner une rhabdomyolyse par des mécanismes encore indéterminés (action directe par infection des myocytes ? endotoxines ? médiateurs inflammatoires ? altération de la microcirculation ? auto-immunité ?...). Ces cas surviennent souvent dans un contexte d’ischémie, de chirurgie, de trauma ou d'immunodépression… Lors d’infections virales, les atteintes musculaires sont le plus souvent diffuses ou multifocales. Lors d’infections bactériennes, les atteintes sont le plus souvent locales. Les agents les plus impliqués sont : Influenza, entérovirus, HIV.

D’innombrables médicaments ont été impliqués dans des cas de rhabdomyolyse, sans que l’on puisse décrire un mécanisme commun. La plupart des cas surviennent en présence de facteurs favorisants (agitation, convulsions, déshydratation, injections intramusculaires,…).

Divers

Enfin, diverses situations caractérisées par une altération de l’homéostasie avec compromission de l’apport en O2 et nutriments ou de la microvascularisation musculaire sont susceptibles d’entraîner une rhabdomyolyse : asthme aigu grave, intoxication à l’eau, diabète insipide, hypothyroïdie, crise thyréotoxique,…

Prise en charge thérapeutique - Traitements

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La prise en charge est essentiellement supportive :

  • Traitement étiologique si possible (ex : écrasement d'un membre → lever la cause et évaluer l’opportunité d’une chirurgie)
  • Prise en charge supportive :
    • Simple surveillance 24 à 48 heures en cas de rhabdomyolyse non compliquée (non symptomatique et absence de troubles ioniques et de dégradation de la fonction rénale)
    • Prise en charge en soins intensifs en cas de rhabdomyolyse massive ou compliquée
    • Expansion volémique (pour prévenir ou traiter une insuffisance rénale aiguë secondaire) : hyperhydratation par cristalloïdes (perfusion IV NaCl 0,9% 1,5 l/ heure le plus rapidement possible… en l’absence d’insuffisance rénale aiguë et sous réserve de la fonction cardiaque : maintenir  au moins 12 l/ jour durant 2 à 3 jours). Utilisation éventuelle, prudente, d’agents vaso-constricteurs.
    • Correction des troubles ioniques :
      • corriger toute hyperkaliémie… ! Attention : les moyens médicaux conventionnels sont généralement peu efficaces à en cas d’hyperkaliémie non contrôlée par l’expansion volémique → envisager plus rapidement le recours à une hémodialyse !
      • une hypocalcémie quant à elle ne doit être corrigée (risque d’aggraver la myolyse par précipitation de calcium) que si elle est sévère ou symptomatique 
      • une hyperphosphérmie n’impose habituellement pas de correction.
    • Prise en charge des autres complications (assistances organiques, fasciotomies,...)
    • Antibiothérapie empirique en cas de blessure ouverte ou d'étiologie suspecte d’infection
    • Dans les cas de myolyses incontrôlables (+++ lors de rhabdomyolyses traumatiques) la résection des tissus nécrotiques, voire l’amputation, devra être envisagée.

Auteur(s)

Shanan Khairi, MD