Justice, droit et médecine

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Le médecin peut être confronté à la loi dans différentes circonstances rendant nécessaire la connaissance de quelques principes législatifs et d'organisation judiciaire. A noter qu'il est question ici du cas belge s'inscrivant dans le cadre du droit romano-germanique, les pays anglo-saxons ont quant à eux une organisation judicaire radicalement différente.

Eléments de droit

Le droit civil

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Les juridictions civiles statuent pour les conflits privés entre citoyens sur base du code civil.

  • juridictions générales
  • juridictions spécialisées :
    • tribunal du commerce
    • tribunal du travail
    • tribunal de la jeunesse

De façon générale :

  • L'article 1382 du code civil définit la responsabilité civile : on est responsable de ce que l'on cause et l'on est obligé de réparer le dommage causé à autrui.
  • L'article 1383 étend cette responsabilité à ce qui a été causé de par son fait mais aussi par négligence ou imprudence.
  • L'article 1384 l'étend aux dommages causés par les personnes dont on doit répondre et les choses que l'on a sous sa garde.
  • L'article 1385 l'étend aux dommages causés par un animal que l'on possède (même échappé ou égaré) ou dont on se sert
  • L'article 1386 l'étend aux dommages causés par la ruine, le défaut d'entretien ou le vice de construction d'un bien immobilier que l'on possède.

La procédure civile consiste donc à trancher des conflits entre personnes ou institutions ayant une personnalité civile et a faire réparer ou compenser d'éventuels dommages. Elle ne peut en aucun cas aboutir à une sanction pénale. Elle est centrée sur la responsabilité de l'intimé et le dommage subit par le demandeur.

La procédure civile

Une procédure civile peut être initiée de différentes façons :

  • Si une procédure pénale concernant l'affaire est en cours :
    • Le demandeur peut se porter partie civile (pour réclamer des dommages) soit auprès du juge d'instruction soit auprès du tribunal compétent. Le volet civil est alors joint au volet pénal, le tribunal compétent se prononçant sur les deux volets.
  • S'il n'y a pas de procédure pénale en cours :
    • Le demandeur [ou "appelant" en appel] (victime) assigne le défendeur [intimé en appel] (responsable) devant le tribunal compétent en citation directe après avoir obtenu la fixation d'une audience par le parquet. Il n'y a dans ce cas ni information ni instruction et le demandeur doit apporter au tribunal les preuves de ses accusations et justifiant le dommage réclamé.
    • Cette procédure de "citation directe" n'est possible que pour les contraventions et délits, pas pour les crimes
    • Il s'agit dans ce cas d'un procès civil qui ne pourra en aucun cas aboutir à une peine pénale, seule la réparation des dommages étant ici en jeu

Le droit pénal

Les juridictions pénales (= "répressives") punissent les infractions aux lois pénales → code pénal = recueil des prescriptions d'ordre public qu'on ne peut enfreindre sans encourir une peine. Le droit pénal est encadré par la constitution (plus particulièrement de ses articles 8 à 32), qui garantit l'Etat de droit (garantie d'un exercice des pouvoirs publics conforme au droit par opposition à un exercice arbitraire du pouvoir public).

En droit pénal, il n'y a d'infraction que si elle est prévue par une loi et qu'une peine (amende, privation ou limitation de liberté, travaux d'intérêt général,...) y est légalement liée → le code pénal établit cette codification des peines. Il y a trois niveaux d'infraction :

  • la contravention du ressort du tribunal de police
  • le délit du ressort du tribunal correctionnel
  • le crime du ressort de la cour d'assise

La procédure pénale vise à sanctionner des infractions déterminées par le législateur. Elle ne vise pas à la réparation de dommages. Contrairement à une idée largement répandue, elle ne vise pas à "rendre justice aux victimes" mais est centrée sur la responsabilité de l'accusé et l'intérêt de la société.

La procédure pénale

Un individu commet une infraction

→ elle est constatée et dénoncée :

  • Par la victime
  • Par une personne non qualifiée (témoin)

→ elle est constatée (après l'étape précédente ou directement) :

  • Par une personne qualifiée :
    • Membre de la police fédérale ou locale
    • Garde-champêtre, garde forestier, commissaire de police, bourgmestre, procureur du Roi, juge d'instruction

→ l'infraction fait l'objet d'un procès-verbal

→ soumission du procès-verbal à un officier du ministère public qui a différentes possibilités pour traiter l'action publique :

  • Classement sans suite (abandon de la procédure)
  • Information judiciaire
  • Saisine du juge d'instruction
  • Recours à une procédure transactionnelle (amende → pas de jugement → pas de casier judiciaire → ne peut servir de base à la qualification de récidive)

→ saisie du juge d'instruction

  • Il instruit l'affaire (crimes et délits) à charge et à décharge
  • Il peut procéder à des auditions de témoins sous serment
  • Il dispose d'un pouvoir de contrainte illimité:
    • Ordonnance de perquisition
    • Mandat d'amener, mandat d'arrêt, placement en détention préventive
    • Inculpation
    • Ordonnance d'exploration corporelle
  • L'instruction est secrète, non contradictoire et inquisitoriale (le contradictoire est la caractéristique des juridictions de fond)

→ rapport du juge d'instruction devant la chambre du conseil

  • Composée d'un juge unique (siège en présence du juge d'instruction, du procureur du Roi, de l'inculpé et de son avocat)
  • C'est une juridiction de passage filtrant les dossiers. Elle étudie la qualité et les résultats de l'instruction puis peut :
    • Entériner l'instruction
    • Prononcer une ordonnance de non-lieu
    • Donner l'ordre de libérer l'inculpé
    • Ordonner une observation psychiatrique ou un internement
    • Renvoyer l'inculpé devant la juridiction concernée → l'inculpé devient l'accusé, sauf en cas appel devant la chambre des mises en accusation
    • Prononcer l'ordonnance de prise de corps
  • Ses décisions peuvent être frappées d'appel au niveau de la chambre des mises en accusation. Si tel est le cas, elle revoit le cas de manière similaire.

→ En cas de transformation de l'inculpation en accusation, le procureur du Roi transmet le dossier répressif à la juridiction apte à juger et prononcer une peine :

  • Tribunal de police (pour les contraventions)
  • Tribunal correctionnel (pour les délits... et pour certains crimes s'ils bénéficient de circonstances atténuantes)
  • Cour d'assises (pour les crimes)

La cour d'assises est une juridiction temporaire tout à fait particulière :

  • Il s'agit d'une "juridiction populaire" : un jury comprenant 12 jurés (+ suppléants)
  • Une cour de trois magistrats professionnels comprenant un juge président et 2 juges assesseurs
  • Une accusation assurée par le ministère public
  • En fin de procès, le président de la cour établit une liste de questions relatives aux accusations. Le jury se retire et se prononce seul, à la majorité de ses membres, sur chaque question
  • Si une culpabilité est prononcée, la cour et le jury se réunissent. La cour prend connaissance des motivations des réponses du jury. La cour et le jury déterminent ensuite ensemble la peine et ses motivations
  • La cour d'assise est toujours une "juridiction souveraine" : pas de possibilité d'appel. Cependant :
    • L'accusé peut se pourvoir devant la cour de cassation (qui ne se prononce pas sur le fonds de l'affaire mais uniquement sur la forme de la procédure)
    • Les trois magistrats professionnels, s'ils sont unanimes, peuvent annuler un verdict de culpabilité rendu par le jury si celui-ci leur paraît incohérent. Cette disposition a été utilisée de manière exceptionnelle.

A noter que malgré différentes réformes, la procédure d'assises belge contrevient toujours gravement aux normes juridiques imposées par l'Union Européenne quant aux "procès équitables" :

  • Après avoir été condamnée (arrêt Taxquet) pour l'absence de motivations des décisions d'assises, la Belgique a introduit l'obligation pour le jury de motiver auprès de la cour ses verdicts de culpabilité et la réunion du jury et de la cour pour prononcer les peines et les motiver. Cependant, seules les motivations communes du jury et de la cour sont rendues publiques... ce qui laisse persister une anomalie.
  • Les normes européennes prévoient que toute décision judicaire doit pouvoir être contestée en appel, ce qui n'est toujours pas le cas quant aux décisions des cours d'assises belges.

Eléments d'organisation du pouvoir judiciaire belge

Il existe 3 pouvoirs, "relativement" séparés : le législatif (Roi, Chambre, Sénat) qui élabore les lois et contrôle l'exécutif, l'exécutif (Roi, gouvernement nommé par le Roi et administration assurant son fonctionnement), le pouvoir judiciaire ayant pour mission de juger (trancher les litiges par l'interprétation et l'application du droit).

La magistrature

La magistrature est le corps des hommes de loi faisant partie de l'ordre judiciaire.

La magistrature assise 

Elle regroupe les magistrats dont la fonction est de rendre justice : juge de paix, juge du tribunal de première instance, juge d'instruction, président de cour d'appel, conseiller près la cour d'appel, président de cour de cassation, conseiller près la cour de cassation

→ elle forme le pouvoir judiciaire, bénéficiant d'un statut les rendant "relativement" (les magistrats sont nommés par le Roi) indépendant du pouvoir exécutif.

La magistrature debout

Elle regroupe les officiers du ministère public, exerçant leurs fonctions sous l'autorité du ministère de la justice ou du ministère des affaires sociales, de l'emploi et du travail : le procureur général près la cour de cassation et ses assistants (premiers avocats généraux et avocats généraux), le procureur général près la cour d'appel et ses assistants (premiers avocats généraux, avocats généraux et substituts du procureur général), le procureur du Roi attaché au tribunal de première instance et ses assistants (premiers substituts et substituts), le commissaire de police, les auditeurs des tribunaux spéciaux (tribunal du travail,…).

Le ministère public est "l'organe de la loi", il :

  • exerce l'action publique en poursuivant crimes et délits
  • recherche les infractions et doit en réunir les preuves
  • traduit les inculpés devant les juges
  • prononce le réquisitoire à l'audience
  • veille à l'exécution des jugements et arrêts
  • veille à la régularité du service des cours et des tribunaux

Médecine, droit et expertise médico-légale

Le médecin est confronté à la loi

  • en tant que simple citoyen
  • en tant qu'objet d'une plainte dans son exercice professionnel
  • en tant que témoin ordinaire ou témoin médecin (témoin privilégié de : violences sur incapables de consentement ou non, [de tentatives] d'empoisonnement, de séquestration arbitraire → dans ce cas le secret professionnel est levé).
  • requis par les autorités judiciaires (magistrats)
    • Reçoit une mission de technicien ou de témoin (constat de coup ou de décès, prélèvements biologiques)
    • Désigné comme expert
      • En matières civiles :
        • Mission de technicien spécialisé pour la formulation d'un avis éclairant l'autorité qui l'a désigné
        • L'expert remet au juge les éléments probants, pas son intime conviction. Le médecin peut se déroger à sa désignation.
        • L'avis ne lie pas le juge, l'intime conviction appartient au juge
      • En matières pénales :
        • Requis par l'autorité judiciaire, il ne peut s'y déroger (sauf empêchement physique, statut de médecin traitant de la partie à examiner,…)
        • Témoin : ses observations constituent un témoignage juridique et participent à la recherche de preuves
        • Prête le double serment : de témoin et d'expert
        • Comme dans la procédure civile, l'avis ne lie pas le juge, l'intime conviction appartient au juge
  • requis par la police
    • La police ne possède un pouvoir de réquisition que dans des circonstances très précises (prélèvement sanguin d'une personne impliquée dans un accident de roulage en cas de suspicion d'intoxication éthylique)

Bien qu'idéalement seuls des légistes devraient être désignés experts, tout médecin peut être réquisitionné comme tel selon la situation. 

Le médecin thérapeute et l'expertise

Comment le médecin peut-il aider son patient qui va être confronté à la procédure d'expertise en général ?

  • dossier médical personnel tenu scrupuleusement
  • certificat de premier constat
    • critères de qualité :
      • complet
      • strictement objectif et ne pas faire sienne la version de la victime (on peut mentionner "selon les dires de…") ni au contraire la mettre en doute
      • interprétation strictement médicale du ou des problèmes constatés
      • Utile d'user de schémas corporels ou de photographies
    • à remettre uniquement à la victime qui décidera de sa propre responsabilité de sa destination (excepté les certificats obligatoires : assurances terrestres, naissance, décès,…)
  • secret médical
    • protège le colloque médecin-patient → concerne la confidence
    • ne peut cependant léser la victime par la non communication d'éléments médicaux indispensables pour faire valoir ses droits (Cassation 1988, accepté dans le code de déontologie médicale). En tout état de cause, le secret ne peut être levé que devant un magistrat
  • droits des patients (loi de 2002)
    • droit à la prestation de services de qualité
    • droit au libre choix du prestataire de soins
    • droit à l'information
    • droit au consentement éclairé
    • droits relatifs au dossier du patient
    • droit à la protection de la vie privée et de l'intimité
    • droit de plainte
  • Droit des patients et exceptions légales au secret médical :
    • De manière générale, le médecin est le seul juge quant à l'opportunité de lever le secret médical, décidant en conscience s'il doit se soumettre ou non à ces exceptions légales
      • Envers les médecins conseils (et uniquement les médecins conseils !) des organismes assureurs. Exceptions prévues par les modifications de l'art 95 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre. Cependant :
        • Le médecin peut refuser la délivrance d'un certificat à l'assuré qui en fait la demande, s'il constate que l'assureur exerce une pression sur le patient.
        • Le certificat doit se limiter à une description de l'état de santé actuel
          • sauf en cas de décès : le médecin transmet au médecin-conseil de l'assureur un certificat établissant la cause du décès, si l'assuré y a préalablement consenti
      • Le secret médical peut être levé par le médecin si celui estime qu'il est un "moindre mal" dans un état de nécessité s'appuyant sur l'arrêt de la Cour de Cassation de 1987 → ex : si un mineur ou autre personne incapable de consentement est estimé objet de sévices ou de privation d'aliments ou de soins → informer les parents, les tuteurs ou les autorités judiciaires selon son jugement. En cas de crainte grave et imminente quant à l'intégrité physique d'une personne, de séquestration arbitraire ou de tentative d'empoisonnement → informer les autorités judiciaires.
      • INAMI, déclaration obligatoire de maladies épidémiques et vénériennes (inspecteurs d'hygiène), déclaration de maladies professionnelles, déclaration des naissances et décès (état civil), assistants de justice dans le cadre de conventions préalablement fixées avec le médecin et le patient, missions particulières des médecins de l'inspection scolaire et des médecins désignés quant à l'obtention de certaines allocations sociales
  • 3 autres exceptions (non légales) au secret médical :
    • Le témoignage en justice : le médecin décide en conscience s'il doit parler et seul un juge peut recevoir ce témoignage. Situation complexe cependant, puisque le médecin s'expose à des sanctions ordinales du Conseil de l'Ordre s'il lève le secret médical et à des sanctions judiciaires du magistrat s'il ne le lève pas...
      • Il semble raisonnable face à toute demande de témoignage émanant d'un magistrat de demander l'avis de son Conseil provincial
    • Le médecin devant se défendre en justice → son droit de se défendre prévaut sur le secret médical → il peut invoquer tous les éléments qu'il juge utiles à sa cause
    • Le secret médical peut également être levé en cas de consentement du patient, mais seulement dans certains cas (communication à une personne de confiance, à un autre médecin, à un magistrat,...)

La responsabilité médicale

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Pour que la responsabilité médicale d'un médecin dans son exercice soit engagée, il faut qu'il y ait eut une "faute" du médecin, qu'il y ait un dommage et qu'un lien de causalité entre la faute et le dommage soit démontré.

Il n'y a cependant pas d'obligation de résultats à l'exercice médical, seulement une obligation de moyens ("bonus medicus") → à tenir en compte lors de l'appréciation de l'existence d'une faute. "L'obligation de moyens" est très subjective étant relative aux connaissances et règles de bonnes pratiques... et donc également l'appréciation d'une faute. Qui plus est, la distinction entre une "faute" (répréhensible) et un "aléa" médical est également très subjective... Toute "erreur" n'est en effet pas une faute, la médecine n'étant pas une science exacte, tout médecin commettra d'innombrables erreurs diagnostiques ou thérapeutiques relatives à des cas particuliers... La conformité aux "recommandations de bonnes pratiques" est déterminante dans cette appréciation.

Domaines visés directement par le droit médical

  • Loi de 2002 relative aux droits du patient (cf chapitre sur les dommages corporels)
  • Faute médicale – risque médical – aléa médical
  • Consentement libre et éclairé du patient
  • Perte de chance de guérison et de survie
  • Euthanasie

Auteur(s)

Shanan Khairi, MD