Viande pourrie - nouveau scandale sanitaire en Belgique

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Les abattoirs Veviba

Les abattoirs Veviba

Un nouveau scandale sanitaire aux apparences d'affaire d'Etat vient d'éclater ce mois de mars 2018 en Belgique : le scandale Veviba. Du nom d'une entreprise belge traitant environ 144.000 bovins par an et fournissant un peu plus de 30% de la viande consommée en Belgique. Il s'avère que cette entreprise écoulait sciemment depuis un temps indéterminé (au moins un an et demi) de la viande qu'on ne peut que qualifier de pourrie au regard des informations se faisant jour. Il se fait également que, comme en atteste la plainte kosovare de 2016 à l'origine de cette affaire, une part importante de cette viande pourrie était exportée à l'étranger, principalement au sein de l'Union Européenne, dont Veviba retire un tiers de son chiffre d'affaire.

Il y a à peine huit mois, éclatait dans notre pays le scandale du fipronil. Du nom de ce pesticide interdit à cet usage vendu par un entrepreneur belge auprès d'éleveurs de poules belges et néerlandais via divers intermédiaires. Du nom de ces oeufs et produits dérivés contaminés ayant inondé le marché européen et mondial. De scandales en scandales, on peine à trouver encore les mots aptes à décrire notre stupéfaction. Stupéfaction face à la corruption de nos industriels. Stupéfaction devant la tolérance coupable de nos responsables politiques. Stupéfaction devant l'incompétence de notre administration. Stupéfaction, enfin, devant l'impuissance de notre justice. 

Le déroulé des événements

Les faits demeurent encore confus du fait de la rétention d'informations par nos autorités.

Tout semble débuter en septembre 2016 lorsque les inspecteurs sanitaires des douanes du Kosovo déposent une plainte auprès de l'AFSCA, agence fédérale de sécurité alimentaire belge, après avoir constaté que de la viande livrée par le groupe belge Veviba à un distributeur kosovar était avariée (des lots de viande datant de "douze ans" aux étiquettes "illisibles et trafiquées"). De cette date au 6 mars 2018, il est impossible de savoir ce qu'il s'est passé. Les ministres de l'agriculture de l'époque, Willy Borsus, et actuel, Denis Ducarme, ayant tutelle sur l'AFSCA affirment tout ignorer. L'AFSCA affirme officiellement ne pouvoir actuellement donner aucune information, ces données étant "complexes à retrouver" pour des questions "d'informatique". Un rapport sera fourni en temps en heure nous dit-on. Mystère total sur cet intermède à l'heure actuelle donc.

L'affaire éclate au grand jour lorsque le public apprend le 6 mars 2018 que des contrôles ont été menées à Veviba, filiale du groupe Verbist, par l'AFSCA. Que ces contrôles ont révélé que 70% des palettes de viande contrôlées n'étaient pas aux normes. Du fait de viande périmée ou mélangée avec divers déchêts. Ces infractions constatées aux normes sanitaires étaient de plus tout fait volontaires, les étiquettes de ces viandes ayant été frauduleusement modifiées (notamment sur les dates de découpe et/ ou de congélation).

Le 7 mars 2018, le ministre de l'agriculture fédéral Denis Ducarme annonce que Veviba se voit immédiatement retiré ses agréments d'exploitation. Aucune autre mesure n'est annoncée. Dans les trois jours suivants cependant, l'AFSCA se veut "rassurante" et affirme que "il n'y a aucun risque pour la santé publique. Il suffit de bien cuire sa viande". Plus étonnant encore elle rassure la population belge d'un "par ailleurs, une partie de cette viande était exportée et n'a pas finie dans les assiettes des consommateurs belges". Il s'avère que cette information est exacte. Une partie (un tiers selon les dernières informations) de la viande de Veviba est écoulée à l'étranger, principalement sur le marché européen mais également sur le marché mondial. Jusqu'en Chine. Ni nos voisins européens ni même la Chine ne sont cependant officiellement informés et aucune mesure n'est prise les concernant.

Le groupe Veviba fournissant 30% de la viande consommée en Belgique au travers des plus grandes enseignes du pays, les groupes de distribution Delhaize, Colruyt, Makro,... décident de leur propre initiative - aucune mesure n'ayant encore été prise à ce sujet - de retirer immédiatement tous les lots de viande provenant de Veviba de leurs magasins et de cesser immédiatement et définitivement toute collaboration avec ce fournisseur.

Dans le même temps, des témoignages accablants se firent jour. Le représentant alimentation-services du très puissant syndicat chrétien CSC, Bernard Van Wynsberghe, allat même à déclarer face caméra qu'il était tout à fait au courant de la situation "de longue date". Il justifia la complicité des travailleurs de l'entreprise et l'inaction de son syndicat de par la peur de faire perdre des emplois... et des avantages. Parmi ces "avantages", Bernard Van Wynsberghe déclara explicitement que des "enveloppes d'argent" étaient remises "sous la table" aux travailleurs pour s'assurer de leur participation et de leur silence. Silence brisé maintenant que le scandale se faisait public. Ainsi divers témoignages de travailleurs de Veviba, anonymes ou non, se firent accablants : "du sang vert sortait parfois de la viande", "des morceaux puaient", "on redécoupait et traitait tout ce qui avait l'air pourri", "on remettait en barquette ce qui trainait par terre",... depuis "des années"...

Nonobstant, dans les jours suivants, l'AFSCA et le ministère maintinrent leurs déclarations rassurantes. Rajoutant cependant qu'ils avaient décidé de faire rappeller les "viandes hachées et les queues de porc". Que le reste était sûr. On apprit par la même occasion que le groupe Veviba-Verbist était toujours libre de continuer ses activités. Seul un abbatoir et lieu de vente étaient concernés par le retrait ministériel d'agrément. Les groupes de distribution précités maintinrent cependant leur décision, argant "d'informations graves rompant définitivement tout lien de confiance". A l'heure actuelle, le ministre Ducarme a demandé un rapport de l'AFSCA pour s'informer. Le parlement quant à lui a exigé la formation d'une commission d'enquête parlementaire. Le 11 mars, le directeur de l'AFSCA interviewé sur la principale télévision du pays n'avait toujours aucune information concrète à donner. En lieu et place, il tentait de défendre son administration de façon inadmissible : selon lui la responsabilité de son agence n'était pas pleine et entière puisque le principal des contrôles sanitaires des entreprises agro-alimentaires était délégué... aux entreprises elles-mêmes via "l'auto-contrôle" (à savoir que les entreprises sont sensées se contrôler elles mêmes via des audits demandés à des entreprises et laboratoires privés sous-traitants, aptes à donner divers "labels"). Les ministres de l'agriculture ("les" car en Belgique, nous avons plusieurs ministres de l'agriculture, ceci relevant d'une déliquescence de l'Etat qui sera explicitée ci-dessous) présents sur le même plateau télévisé ne réagirent pas à cette déclaration consternante d'incompétence et d'irresponsabilité. En lieu et place, et au lieu de nous parler de santé publique, ils firent choeur pour nous signifier qu'il fallait tout faire pour préserver le secteur économique de la viande face à cette crise...

Ce même 11 mars, l'Association patronale "Fédération wallone de l'Agriculture" fit un communiqué pour exiger la démission du patron du groupe Verbist, Diederick Verbist. En guise de réponse, le propriétaire du groupe, Louis Verbist, se fendit d'un communiqué de presse niant tout. Et criant au complot. Selon lui, rien n'est vrai et l'affaire ne constituerait qu'une "manoeuvre de la concurrence afin de m'anéantir"... A noter que ce communiqué fut le seul depuis le début de la crise. Le groupe Verbist en tant que tel n'a pas daigné communiquer auprès du public. Et a été jusqu'à fermer son site internet et toute possibilité de contact sous couvert de "maintenance"... Le 13 mars la presse annonçait que, de sources gouvernementales, la démission du directeur de l'AFSCA n'était qu'une question d'heures ou de jours. Dans le même temps, un communiqué signé par "tout le personnel de Bastogne" niait tous les faits repprochés.

On n'en sait pas plus.

Les acteurs - quelles responsabilités ?

Différents niveaux de responsabilité peuvent être établis. Au premier rang, bien sûr, tous ceux qui au sein du groupe Verbist se sont rendus coupables d'actes criminels pénalement répréhensibles. Mais, encore une fois, on ne peut faire l'épargne des responsabilités administratives et politiques. Une nouvelle fois un scandale sanitaire aux répercussions mondiales éclate dans notre micro pays. Encore une fois, ces autorités étaient averties depuis des années et n'ont pris aucune mesure sécurisant la santé publique. Encore une fois la communication de crise est insuffisante, contradictoire et désastreuse.

Le groupe Verbist : une entreprise mafieuse aux mains d'une famille ?

Le groupe Verbist est un groupe industriel flamand de l'agro-alimentaire créé il y a une cinquantaine d'année, ayant aquis peu à peu une place oligopolistique sur le marché du traitement de la viande belge au point d'en traiter aujourd'hui un tiers. Il comprend onze filiales, dont Veviba qui à elle seule dégage un chiffre d'affaire annuel d'environs 280 millions d'euros tant par ses activités nationales que d'export sur le marché mondial. Ces activités d'export se concentrent principalement sur le marché européen (Pays-Bas, France, Grèce,...) mais également mondial et s'est étendu récemment à la Chine.

Sa propriété et son administration demeurent aujourd'hui familiales, le septuagénaire pater familia Louis Verbist étant propriétaire et Diederik Verbist étant l'administrateur délégué (véritable "patron") de l'entreprise. Les Verbist constituant une des familles les plus riches et puissantes de Belgique depuis plusieurs siècles mêlant armoiries, activités industrielles, dirigeants politiques, dirigeants de l'Eglise et ramifications académiques. Il y a encore à peine deux ans, une large campagne de presse louait ce groupe pour son dynamisme, ses profits et son extension vers le marché chinois... On en parlait alors comme d'un "miracle", d'une "gazelle économique", d'une "fierté nationale",...

Les infractions délictuelles mises en évidence au sein de ce groupe par les inspecteurs sanitaires, les témoignages des employés et syndicalistes produits par la presse, la concentration familiale du pouvoir de ce groupe et les réactions délirantes de son pater familia suggèrent une dénomination à ce système : mafia. Et ce mot vient malheureusement trop souvent à l'esprit dans notre pays ces dernières années...

Louis Verbist a, dans son seul communiqué, protesté de sa bonne foi et évoqué un complot de la concurrence visant à "l'anéantir". Ceci n'est pas crédible une seule seconde et on ne peut que lui conseiller de changer de mode de défense. Il est bien sûr possible que la famille Verbist, détenant et dirigeant le groupe n'ait pas eu connaissance de ces infractions sanitaires. A cette heure, il est difficile de déterminer à quels niveaux hiérarchiques du groupe ont été mises en place ces pratiques.

Un personnel et un syndicat complices ?

Il est rapidement devenu évident au vu des premiers témoignages que le personnel de l'entreprise s'est massivement rendu complice de ces activités en procédant aux découpes et manipulations frauduleuses. Selon les propres déclarations du permanent syndical Bernard Van Wynsberghe (CSC), non seulement pour assurer son emploi mais également pour bénéficier "d'enveloppes d'argents" données "sous la table".

Il s'agit bien ici d'une complicité active évoquée par ce délégué syndical et divers témoignages. Contre rémunération. Le degré de responsabilité n'est sans doute pas le même que celui des dirigeants de l'entreprise. Mais responsabilité il y a. Responsabilité non seulement morale mais judiciaire. En particulier, si les déclarations de Bernard Van Wynsberghe correspondent à la réalité, celui-ci n'a plus sa place à la CSC mais bien, et de façon urgente, dans le bureau d'un juge d'instruction.

A noter, que le 13 mars, un communiqué de presse émanant de "tout le personnel de Bastogne" contredisait les témoignages produits jusqu'ici, assurant que toutes leurs préparations avaient été faites avec "professionnalisme" et dans le strict respect des normes sanitaires. Niant ainsi à la fois toute responsabilité et les constats d'infraction posés par les inspecteurs sanitaires.

Il devra appartenir à la justice de trancher.

Un système de sécurité alimentaire obsolète - une agence fédérale incompétente

Force est de constater que malgré les graves carences de notre système de contrôle et de l'AFSCA en particulier, aucune leçon n'a été tirée depuis le scandale du fipronil. Que l'incompétence de nos systèmes de contrôle gouvernementaux reposant largement sur des systèmes "d'auto-contrôles" voit son ineptie théorique se confirmer dans la pratique. Que l'humiliation va encore une fois jusqu'au fait que l'infraction fut signalée depuis l'étranger. Qu'aucun signal d'alarme ne s'est déclenché dans notre pays.

Non seulement nous apprenons qu'une autre menace sur la santé publique a été négligée ces dernières années, mais que rien n'a été fait ces derniers mois. Que la communication de l'AFSCA au public est toujours aussi déficiente que non crédible. Que cette communication semble plus vouloir défendre ses propres intérêts et ceux de l'industrie que ceux de la population.

Une profonde réforme de l'AFSCA et du système de contrôle belge est indispensable. Il convient non seulement d'en écarter les cadres, tant administratifs que politiques, qui ont fait montre d'incompétence, mais également de créer une véritable agence de contrôle. Une agence de contrôle qui ne se concentre plus principalement sur la régularité des tampons administratifs et délègue les véritables contrôles à des sous traitants privés travaillant, en plein conflits d'intérêts, pour les entreprises contrôlées. Une agence de contrôle qui contrôle. Et qui fasse régulièrement l'objet d'audits externes et non pas après 20 ans de crises ininterrompues. Est-ce trop demander à ce gouvernement ?

Un gouvernement toujours aussi irresponsable

Comme lors du scandale du fipronil, les politiques font mine de croire que leur responsabilité n'est pas engagée. Pas un mot à ce sujet des ministres de l'agriculture Ducarme et Borsus responsables de l'AFSCA. Pas un mot tout court ni de notre premier ministre Charles Michel ni de la ministre de la santé Maggie De Block.

Concernant cette dernière, lorsqu'on se rappelle de ses déclarations aussi péremptoires que délirantes lors du scandale du fipronil, on ne peut que supposer qu'elle pèse cette fois mieux ses futures interventions...

Des premières informations parlementaires qui nous parviennent, il semble que, contrairement au cas du fipronil où personne n'a finalement été désigné responsable, le gouvernement va tenter de faire reposer l'entièreté de la responsabilité du scandale Veviba-Verbist sur la personne du directeur de l'AFSCA.

Le contexte

Un secteur sous pression

Dans l'après-guerre, le "baby-boom" et l'amélioration sans précédent du niveau de vie des populations européennes ont conduit nos autorités à satisfaire de nouvelles demandes alimentaires. L'industrialisation et la rationnalisation déjà en cours du secteur agricole fut renforcée. Concernant le sujet qui nous occupe, il s'agissait de fournir massivement la population en viande et dérivés, autrefois faiblement consommés par les classes populaires. Une course constante à l'industrialisation et à l'amélioration des performances du secteur fut donc très tôt engagée.

A celà, on peut rajouter la crise globale touchant l'agriculture européenne ne survivant de longue date que grâce aux subsides de la Politique Agricole Commune et diverses mesures protectionnistes, incapable de concurencer la production des pays extra-européens, Amérique du Sud en tête. La concurrence grandissante entre pays intra-européens ne faisant qu'accentuer cette fragilité.

D'un Etat belge déliquescent à un "Etat voyou" ?

Un Etat déliquescent

Aperçu simplifié de la structure fédérale belge

Aperçu simplifié de la structure fédérale belge

Deux tendances ont contribué à la déliquescence de l'Etat belge. La plus évidente est celle des infra-nationalismes sur base ethnico-linguistique. Nos éternelles "querelles communautaires", s'immiscant dans tous les aspects de notre vie éco-politique. Nous avons subi six réformes constitutionnelles depuis 1970, la dernière datant de 2014, toutes multipliant les lieux de pouvoirs locaux et affaiblissant l'Etat fédéral. Aujourd'hui la Belgique compte ainsi six gouvernements différents, 53 ministres, 467 parlementaires, 14029 conseillers, et d'innombrables autres fonctions totalisant 654055 mandats publics. Pour un pays de 11 millions d'habitants. Soit un mandat public pour 16 habitants. Une performance probablement mondiale.

La seconde, non spécifique à notre pays, est celle du libéralisme et de "l'austérité budgétaire". Afin de satisfaire aux nouveaux consensus libéraux et à la volonté de faire rembourser par les plus jeunes les dettes publiques contractées par les générations précédentes, les budgets publics se sont effrités et une incompréhensible intrication public-privé s'est développée. Au côté des véritables privatisations, ont été créées de multiples "sociétés publiques de gestion privées", "sociétés privées d'intérêt public" et diverses "associations". Ainsi en est-il de la plupart de notre myriade "d'intercommunales".

De ces politiques, souffrent deux principales victimes.

Taux de chômage 2005-2015 - Belgique

Taux de chômage 2005-2015 - Belgique

Tout d'abord Bruxelles. Son million d'habitants pèse peu face aux 6,5 millions de Flamands et même aux 3,5 millions de Wallons. Eternelle sacrifiée des négociations communautaires, elle s'est vue imposée un bilinguisme que sa population très majoritairement francophone ne pratique pas, un sous-financement touchant tous les domaines de l'action publique et, de fait, une délocalisation inter-régionale des emplois générés par son tissu économique. Deux chiffres suffisent à résumer son destin misérable : alors qu'elle pèse près de 20% du PIB national (pour 10% de la population), son taux de chômage dépasse le double du taux national. Fait unique pour une capitale européenne. En outre, son sous-financement dans toutes les sphères publiques (sociales, éducatives, policières,...) a des conséquences dommageables qu'il est difficile de ne pas rapprocher du rôle central qu'elle a fini par occuper dans les affaires liées au terrorisme international.

Ensuite, la performance de nos "services publics" (en ce compris les "sociétés publiques de gestion privée" ou "sociétés privées d'intérêt public", plus personne ne sait...). Comment agir avec efficacité au rythme des réformes de l'Etat ? Comment agir avec efficacité alors que divers organismes chevauchent ou se partagent des compétences ? Comment agir avec efficacité au travers de structures tellement opaques que même nos commissions parlementaires déclarent ne plus bien les comprendre ?

A la pointe de la "concurrence fiscale"

Fraude fiscale et démocratie

Fraude fiscale et démocratie

La "concurrence fiscale" que se mènent les pays, y compris au sein même de l'Union Européenne, est devenue un des problèmes majeurs minant la légitimité de nos social-démocraties contemporaines. Il est regrettable de constater qu'en la matière notre pays se distingue... très négativement. Ainsi, de tous les pays de l'OCDE, la Belgique est le pays où l'imposition moyenne sur les revenus du travail, salarié et indépendant, est la plus élevée. En parallèle, l'imposition sur les revenus des patrimoines est l'une des plus faibles et il n'existe virtuellement pas d'imposition sur les patrimoines eux-mêmes.

En outre, sous la coalition centriste dirigée par Di Rupo, le ministre libéral Didier Reynders a mis en place une première "amnistie fiscale" en 2003, permettant aux grands fraudeurs fiscaux résidant en Belgique de rapatrier quasi-impunément des patrimoines cachés du fisc. L'habitude de ces amnisties fut vite prise et une quatrième amnistie fiscale vient d'être mise en application cette année. La création dans des circonstances faisant aujourd'hui l'objet d'une instruction judiciaire (le "KazakhGate") des "transactions pénales" permet également certaines libéralités en la matière.

Même si pour d'autres raisons certains Etats, tels le Luxembourg ou la Suisse, restent pour elles plus "attractifs", ceci explique "l'exil fiscal" dans notre pays de nombreuses grandes fortunes françaises. Ceci explique également le fait que nombre de travailleurs belges aient fait le chemin inverse.

L'extrême-droite accède au pouvoir

Théo Francken (N-VA), ministre belge de l'asile, et Bob Maes, nazi condamné pour collaboration à la libération, lors de l'anniversaire de ce dernier.

Théo Francken (N-VA), ministre belge de l'asile, et Bob Maes, nazi condamné pour collaboration à la libération, lors de l'anniversaire de ce dernier.

L'année 2014 a été celle de la formation d'un gouvernement fédéral inédit à deux titres. Pour la première fois, ce gouvernement ne dispose pas d'une majorité au sein de la population francophone. Pour la première fois, la NVA en fait partie. Il faut malheureusement rappeler que ce parti, outre le fait de défendre l'ultra-libéralisme sur le plan économique, est un parti ultra-nationaliste flamand dont le président actuel a été un des dirigeants du mouvement néo-fasciste VNDK.

L'appartence à l'extrême-droite de la NVA divise nos politologues. Il suffit cependant de rappeler qu'à peine quelques semaines avant de les inclure dans sa coalition, notre premier ministre Charles Michel déclarait dans La Libre Belgique... qu'il ne le ferait jamais au motif que "La NVA a franchit les frontières du racisme". Une négociation plus tard, la realpolitik avait raison de cette affirmation péremptoire. Le fait que Théo Francken, actuel ministre fédéral à l'asile et la migration, la veille même de sa nomination, rende publiquement hommage à un vieillard condamné pour collaboration avec le régime nazi n'y a rien changé.

Ceci a profondément affaibli la puissance de l'Etat fédéral de multiples manières, notamment dans ses rapports aux syndicats et aux entités fédérées francophones.

"L'Etat voyou ? Nous y sommes !"

La présidente de l'USM sur "l'Etat voyou"

Qu'il soit clair que tous les Etats violent constamment le droit national et international de multiples manières, plus ou moins consciemment. La Belgique n'a jamais fait exception. Cependant, ces dernières années ces infractions se sont multipliées et sont devenues pleinement assumées. On peut citer une extradition effectuée secrètement au mépris d'un arrêt du tribunal de premère instance de Bruxelles puis du juge des référés, la violation régulière des droits élémentaires des prisonniers s'étant soldée par un mort et au mépris tant des décisions judiciaires belges que des condamnations des instances européennes, des ministres déclarant publiquement qu'ils ne respecteraient pas certaines lois existantes et n'appliqueraient pas les décisions de justice qui gêneraient leurs politiques, la création des "transactions pénales",...

Tout cela a conduit des membres émérites de notre magistrature à sortir de leur réserve en utilisant des termes extrêmement sévères à l'encontre de notre exécutif. Le plus haut magistrat du pays, Jean De Codt, premier président de la Cour de Cassation, n'hésitait ainsi pas à affirmer publiquement en mai 2015 "La Belgique devient un Etat voyou !". Quelques mois plus tard, Manuela Cadelli, présidente de l'Association Syndicale des Magistrats, portait le même jugement en déclarant "J'ai honte, chaque citoyen, tous, nous devons respecter la loi (...) Et bien nous avons des gouvernants qui s'en vantent [de ne pas respecter la loi] (...) Quand Jean De Codt a parlé d'Etat voyou, il avait raison, nous y sommes !"

De précédents scandales agro-alimentaires à l'instauration de l'AFSCA

Divers scandales ont touché l'industrie agro-alimentaire belge. Le premier à l'échelle de tous le pays fut celui de la "mafia des hormones". A la fin des années '80 fut découvert que la production bovine belge était massivement contaminée par l'usage d'hormones de croissance, formellement interdit. Ce traffic s'avéra être en place depuis les années '70 et impliquait aussi bien des éleveurs que la complicité de vétérinaires privés, de fournisseurs et de détaillants. Au moment du scandale, il fut estimé que 25 à 50% de la production de viande bovine belge était contaminée. Alors que les autorités tentèrent de réagir, les trafiquants réagirent par la violence dans une relative impunité. De nombreux vétérinaires contrôleurs furent l'objet de menaces et/ ou violences physiques lors de leurs contrôles. La crise culmina par l'assassinat du vétérinaire inspecteur Karel van Noppen en février 1995 près de son domicile. Ses assassins seront retrouvés ultérieurement et condamnés à des peines allant de 25 ans d'emprisonnement à la prison à vie. La crise ne sera contrôlée que par l'adoption de nouvelles règles sanitaires (dorénavant toutes les bêtes d'un élevage où une fraude aurait été constatée pourront être abattues), lois pénales (permettant de sanctionner les trafiquants de 5 ans d'emprisonnement au lieu des trois mois prévus jusque là) et mesures sécuritaires (temporairement tous les vétérinaires contrôleurs furent accompagnés de gendarmes).

En 1997, un nouveau traffic agro-alimentaire d'importance, clairement crapuleux cette fois, fut découvert. Il s'agissait de revente de viandes bovines britanniques, alors frappées d'embargo, contaminées par le prion ("maladie de Creutzfeldt-Jakob variante) par des entreprises belges. Il fut avéré que les entreprises belges Tragex-Gel, déjà évoquée dans l'affaire de la "mafia des hormones" et Lefebvre avaient agis de concert pour acheter de la viande contaminée, trafiquer ses certificats et la revendre dans le monde entier. Le traffic a impliqué au moins 1600 tonnes de viande infectée. L'affaire s'est soldée par des peines allant de l'acquittement à 1 an d'emprisonnement et des amendes jusqu'à 4958 euros. Amendes dérisoires s'il en est... Le scandale fut d'autant plus grand qu'il ne fut pas découvert par les autorités sanitaires belges mais... par celles de la Commission Européenne. Que les patrons de Tragex-Gel ait été déjà été précédemment mis en cause précédemment ne fit qu'ajouter aux accusations d'incurie visant notre administration.

En 1999, la Belgique était secoué par un nouveau scandale sanitaire  d'ampleur nationale: la crise des poulets à la dioxine résultant d'un mélange présumé accidentel d'huiles industrielles à de la graisse animale. La Belgique avait alors été pointée du doigt pour ne pas en avoir averti ses partenaires européens, ce qui lui a valu une condamnation en bonne et due forme de la Commission Européenne. Cette crise, ayant nécessité la destruction de plusieurs millions de poulets, s'est soldée financièrement par une perte d'environ 2% de PIB sur l'année. Perte restée essentiellement à charge du contribuable, l'Etat ayant "oublié" de se porter partie civile contre l'entreprise des frères Verkest au centre du scandale.  L'impact sur la santé publique demeure quant à lui aussi méconnu que non reconnu. Les préoccupations principales des autorités furent alors de soutenir économiquement le secteur aviaire d'une part et de "restaurer une bonne image du pays à l'étranger" d'autre part, afin de maintenir nos exportations. Le Roi Albert II lui même fut mobilisé dans cette dernière tâche au travers de son discours de la fête nationale.

Il y a à peine huit mois, éclatait le scandale du fipronil. Un entrepreneur véreux revendait un mélange "miracle" contenant un pesticide strictement interdit à cet usage - le fipronil - pour le traitement des poules pondeuses. Il s'était alors avéré que ces oeufs contaminés et tous leurs produits dérivés s'étaient retrouvés en masse sur le marché tant européen que mondial.

Une multiplication de scandales politico-financiers

Petit résumé des scandales politiques des dernières années

Petit résumé des scandales politiques des dernières années

Si l'année 2014 fut marquée par de violents conflits sociaux, sans précédent depuis 1961, à l'encontre de la nouvelle coalition gouvernementale de droite-extrême-droite, les années suivantes furent marquées par les scandales financiers touchant nos élites politiques. Corruption, népotisme, abus de biens sociaux, détournements de fonds, conflits d'intérêts, scandales fiscaux, mauvaise gestion, interférences dans la gestion médicale des CHU,... tous ces faits graves, intriqués aux réseaux de délinquance et de criminalité, se sont succédés et ont touché tous les "partis de pouvoir", la magistrature, l'administration et... jusqu'à la famille royale au travers du Kazakhgate. Cette multiplication ininterrompue de scandales n'a pas de comparaison en Belgique depuis les années '80, restées tristement célèbres sous le nom "d'années de plomb".

Les détailler dépasse le cadre de cet édito. A mes compatriotes il suffira de rappeler quelques mots : Publifin, Publipart, Kubla, Samu Social, De Decker, Charleroi, Chodiev, Brugmann, Nethys, Namur, FiscalsLeaks, Optima...

Quelles conséquences ?

Les conséquences sont potentiellement énormes. Potentiellement... Dans d'autres pays, des ministres auraient déjà "sauté", des hauts fonctionnaires seraient "tombés", des industriels auraient les menottes aux poignets, l'opinion serait vent debout. En Belgique, il n'en est rien. Il n'en est rien tant de par la déliquescence de notre Etat que de par l'anesthésie générale face aux scandales qui ne cessent d'éclater.

Les conséquences sanitaires

Contrairement à ce que suggèrent les déclarations de l'AFSCA et de nos ministres, il est impossible d'évaluer l'impact sanitaire de ce scandale. D'abord parce que on ne sait pas depuis quand cette viande avariée est commercialisée en masse sur le marché (depuis au moins septembre 2016). Ensuite parce qu'il s'agit d'un impact rétrospectif.

Les intoxications alimentaires, au travers des infections gastro-instestinales et des intoxinations, sont un des principaux motifs d'admission dans les services d'urgences. Un des motifs principaux d'ITT délivrées. Et, si elles ne nécessitent généralement qu'un traitement symptomatique, elles sont à l'origine d'une part non négligeable des décès. Parfois par le biais de chocs septiques ou de complications auto-immunes. Plus souvent et plus simplement par déshydratation combinée aux complications septiques. Principalement auprès des enfants en bas âge et des vieillards, particulièrement sensibles à toute cause de déshydratation.

La seule mesure susceptible de déterminer l'impact sanitaire de ce scandale serait de revoir l'ensemble des dossiers médicaux concernés et de retracer l'origine de l'intoxication / intoxination. Ce qui est impossible.

Il y a quelques années, j'ai personnellement été victime d'une intoxication alimentaire suite à la consommation d'un sandwich américain vendu par "la meilleure sandwicherie de Bruxelles" (dixit l'amie qui m'y avait amené). J'ai failli en crever avant de vomir ce poison et ai passé 48 heures alité ensuite. La viande venait-elle de Veviba ? Comment pourrais-je le savoir ? C'est impossible.

Outre ces "conséquences passées", il appartiendra au public d'être attentif aux conséquences futures... Pour rappel, seul un abattoir du groupe Verbist a été fermé par les autorités. Le reste du groupe, au nom de l'intérêt économique, restant libre de continuer ses activités. Heureusement, les distributeurs sont plus prudents que les autorités. Heureusement, les distributeurs ont déclaré cesser immédiattement toute collaboration avec le groupe Verbist. Ce dernier continuant ses activités, on ne peut cependant que supposer qu'il continue à écouler sa viande... Via quels canaux ? Il appartiendra aux consommateurs de le découvrir et de rappeler, le cas échéant, aux distributeurs leurs promesses... 

Les conséquences socio-économiques

Il est trop tôt pour les évaluer. Elles seront probablement majeures. Non pas par un impact direct du secteur mais par le biais des "compensations". Comme à l'habitude lors de ce type de scandale, les autorités ont en effet déjà annoncé que les emplois de l'entreprise Veviba seraient préservés et les pertes du secteur agro-alimentaire compensées par l'argent public.

En d'autres termes, une nouvelle fois, les acteurs privés responsables des fraudes n'en assumeront pas le coût. Ce n'est pas la famille Verbist qui "dédommagera" les éleveurs et les distributeurs de la perte à venir qui devrait se chiffrer au moins à plusieurs centaines  de millions (milliards si le scandale devient connu des pays étrangers cibles de nos exportations) d'euros. C'est le contribuable. Classique selon la jurisprudence Reynders-Fortis. 

Des conséquences politiques, administratives et judiciaires ?

Elle devraient être majeures. L'AFSCA devrait être démantelée. Des ministres, voire le gouvernement, devrait démissionner. Des patrons, cadres, employés et syndicalistes devraient se retrouver en prison.

Mais nous savons déjà qu'il n'en sera rien. Nous le savons de par les scandales précédents. Nous le savons parceque l'opinion publique est comme anesthésiée par la faillitte de notre société, perçue désormais comme normalité. Cette fois, peut-être, le directeur de l'AFSCA démissionnera-t-il... Certainement une commission parlementaire sera-t-elle formée... Comme d'habitude, elle rédigera un rapport... Et, d'ici là, nous serons passés au scandale suivant. Le scandale Verbist sera de toute façon oublié et personne n'en assumera véritablement la responsabilité. Comme d'habitude.

La toujours impossible révolution paradigmatique...

De façon tout à fait étonnante et aussi délirante que la communication officielle, on entend certains se féliciter de cette crise pour louer le végétarianisme (qui ne les auraient pourtant pas protégés des oeufs et dérivés au fipronil) voire le véganisme (pour lequel une indispensable vigilance médicale s'impose)... jusqu'à certains politiques ou journalistes de la Radio-télévision publique ! Il n'y a pas à se féliciter de ce scandale. Pas plus que des précédents. Nos végétariens et végans triomphants croient-ils que la corruption et la faillitte du secteur agro-alimentaire ne touche que la viande ?

Nous le savons, les populations européennes mangent trop de viande, aux termes mêmes des recommandations de l'OMS. Elles mangent même "trop" tout court. Viande ou autre. Nous faisons face à une épidémie de surcharge pondérale et d'obésité. A ce point que la norme devient maigreur aux yeux d'une majorité de nos populations. Alors que la famine sévit ailleurs. A la plus grande consternation du monde médical.

Nous le savons, il est urgent de rééquilibrer notre assiette alimentaire. De penser de nouveaux modes de cultures et d'élevage susceptibles de rencontrer les défis de notre temps : diminuer les gaspillages, nourrir l'ensemble de la population mondiale, tenir compte de l'urbanisation croissante, améliorer la qualité des produits. Nous le savons aussi, les solutions sont là et n'ont que peu de rapport avec les rêves de 1968 : agriculture verticale, augmentation de la proportion de fruits et légumes, hydroponie, serres sous LEDs,... Nous le savons enfin : seules les carences de nos modes primitifs d'organisation politico-économique nous freinent dans cette course.

La crise du fipronil n'avait été révélée que fortuitement. Par hasard. Du fait qu'un éleveur de poulets ait changé de laboratoire d'auto-contrôle et de ce fait de liste de composés à détecter. Cette crise quant-à elle n'éclate que du fait d'une plainte venant du Kosovo. Grâce à quoi nous apercevrons nous du prochain scandale touchant notre alimentation ?

Bien sûr, comme le soulignait très justement le doyen de la faculté de pharmacie de l'Université Libre de Bruxelles, "il est impossible de tout voir tout le temps". Ceci devrait néanmoins poser plusieurs questions aux pouvoirs publics. La remise en cause d'un système économique au sein duquel les acteurs privés agissent de façon essentiellement dérégulée. La remise en cause du fonctionnement d'un éco-système agro-alimentaire européen en faillite, survivant à coups de subsides et restructuré selon des impératifs purement comptables au mépris de toute autre considération. La remise en cause d'un système aberrant de normes légales non contrôlées. "Devrait"...

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD