Khairi - Accidents vasculaires cérébraux péri-coronarographies. Une série

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Article accepté comme poster au 8th World Stroke Congress, 2012

Introduction

Les coronarographies sont reconues comme une cause classique mais rare d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques iatrogènes (1), considérés jusqu'à récemment comme de bon pronostic fonctionnel spontané et peu susceptibles de répondre à la thrombolyse. (1, 2)

Plusieurs études ont mis en évidence par dupplex trans-crâniens la survenue de micro-emboles cérébraux chez 100 % des patients subissant une coronarographie, leur nombre (moyenne de 48,7 +- 37,6 emboles par intervention) étant significativement associé au volume d'injection de produit de contraste iodé. Une de ces séries associée à la réalisation d'une résonance magnétique cérébrale à 48 heures de l'intervention rapporte en outre un cas (2,2%) de lésion ischémique. Ces événements n'ont cependant pas eut de conséquence clinique. (3, 4, 5)

Les séries de cas cliniques publiées rapportent quant à elles la survenue d'AVC ischémiques durant ou au décours de 0,21 % à 0,22 % des coronarographies. Leur survenue marque un risque relatif de mortalité variant de 4,36 à 33,7. (Cf Table 1) (6, 7, 8)

Les facteurs de risques démontrés associés significativement à leur survenue sont un âge supérieur à 70 ans, certaines co-morbidités (insuffisance cardiaque à fraction d'éjection ventriculaire diminuée, hypertension artérielle chronique, diabète, hypertrophie ventriculaire gauche, antécédent d'AVC, sténose carotidienne, plaques athéromateuses aortiques et insuffisance rénale chronique), le caractère urgent de l'intervention et un point de ponction au membre inférieur. (6, 7, 8, 9, 10, 11, 12)

L'origine des emboles fait toujours débat faute de données anatomopathologiques. Ils étaient traditionnellement considérés comme le résultat de dislocation de plaques aortiques sur base de l'observation per-intervention de débris dans plus de la moitié des cas. D'autres sources sont cependant aujourd'hui évoquées : embolies gazeuses, formation de thrombi "frais" dans ou sur les cathéters ou sur plaques. (2, 13)

De par la nature présumée calcifiée et dense en fibrine des thrombi et le risque hémorragique supposé majoré de par la ponction et l'administration d'anti-thrombotiques, l'attitude thérapeutique traditionnelle excluait toute thrombolyse. Cependant, bien qu'il n'y ait pas d'evidence quant à un bénéfice clinique, les séries disponibles rapportent un taux de recanalisation radiologique de 30 à 50% en cas de thrombolyse intra-artérielle mécanique ou intra-veineuse sans différence significative quant aux complications hémorragiques et au taux de mortalité par rapport à une prise en charge conservatrice. Ainsi, les consensus d'experts recommandent aujourd'hui d'inclure les techniques de reperfusion dans la prise en charge des AVC péri-coronarographie. (2, 14, 15, 16)

Méthode

Durant 6 mois (01/10/2011 au 01/04/2012), nous avons répertorié les cas de survenue de symptômes neurologiques ayant motivé une demande d'avis neurologique au décours de la réalisation d'une coronarographie au centre hospitalier universitaire Erasme. Les procédures de coronarographies dans notre instutition incluaient l'administration d'enoxaparine à la dose de 0,3 mg/ kg.

Nous avons examiné chacun de ces patients endéans la demi-heure suivant l'apparition des symptômes. Lorsque le diagnostic d'AVC fut retenu, chaque patient bénéficia de la réalisation d'un angio-CT-scanner cérébral en urgence avant d'être admis en stroke unit durant un minimum de 48 heures.

La prise en charge thérapeutique fut conservatrice, associant anticoagulation prophylactique (enoxaparine 0,5 mg/ kg/ jour), statine (atorvastatine 80 mg/ jour), anti-agrégation plaquettaire (acide acetylsalicylique 160 mg et dipyridamole 75 mg/ jour, ou clopidogrel 75 mg/ jour), contrôles tensionnel (schéma labétalol) et glycémique (schéma insulinique) selon les recommandations de l'American Heart Association et de l'European Stroke Organisation.

L'évolution clinique a été objectivée par la réalisation d'une National International of Health Stroke Scale (NIHSS) au premier examen et à 48 heures. Le devenir fonctionnel fut évalué par la réalisation d'un score modifié de Rankin (mRS) à 3 mois. Chaque patient bénéficia en outre de la réalisation d'une imagerie par résonance magnétique cérébrale au cours de son bilan.

Les lésions radiologiques furent classées selon une version modifiée des critères de Mead et al. : lésion(s) étendues sur plus de 50% du territoire de l'artère cérébrale moyenne (ACM), lésion(s) étendues sur moins de 50%  du territoire de l'ACM, lésion(s) du territoire de l'artère cérébrale antérieure (ACA), lésion(s) du territoire de l'artère cérébrale postérieure.

Nous avons retenu comme facteurs de risque cardiovasculaire l'hypertension artérielle chronique, les dyslipidémies, la diminution de la fraction d'éjection ventriculaire gauche, le diabète, le tabagisme, les artériopathies périphériques et coronopathies et un âge supérieur à 70 ans.

Enfin, nous avons effectué un test paramétrique z pour comparer la prévalence de ces événements dans notre institution à celles de la littérature.

Résultats (cf Tables 2 et 3)

831 coronarographies furent réalisées durant la période déterminée. Dans 7 cas, notre avis fut requis pour suspicion d'AVC.

Un cas concernait une femme de 28 ans présentant des "troubles visuels" 3 heures après une coronarographie réalisée pour bilan de douleurs thoraciques atypiques. Un diagnostic de lipothymie vagale fut posé d'emblée sur base clinique.

Nous avons confirmé le diagnostic d'AVC pour les 6 autres patients. Il s'agissait de 4 hommes et 2 femmes, d'un âge moyen de 72 ans (65 à 78) et présentant en moyenne 3,2 facteurs de risque cardio-vasculaires (2 à 5).

Dans un cas, la coronarographie était réalisée en urgence pour suspicion d'infarctus myocardiaque avec sus-décalage du segment ST. Dans les autres, il s'agissait d'examens programmés (un pour bilan de douleurs thoraciques atypiques, un pour bilan de dégradation d'une cardiomyopathie connue et 3 pour bilan d'angor stable). 3 des coronarographies ne révélèrent pas de lésion, 2 ne démontrèrent que des lésions connues sans rapport avec l'indication et 1 des lésions tri-tronculaires. Aucune n'a abouti à un traitement interventionnel.

Dans 4 cas un déficit fut constaté dès la fin de la procédure, dans un autre 2 heures post-coronarographie, et dans le dernier au réveil du cinquième jour. A noter que dans ce dernier cas, concernant la patiente admise en urgence et pour laquelle un diagnostic de syndrome de Tako-Tsubo - potentiellement emboligène bien qu'une échographie cardiaque ne mit pas en évidence de thrombus intra-cardiaque - fut retenu, le caractère iatrogène de l'AVC est incertain.

Le NIHSS moyen était de 5 (0 à 17) lors de l'examen initial et de 3 (0 à 19) à 48 heures. Sur base clinique, les lésions concernaient le territoire de l'ACM gauche dans quatre cas et dans deux cas le territoire postérieur. Au troisième mois, quatre patients étaient asymptomatiques (mRS = 0), un conserva une diplopie (mRS = 1) et un décéda (mRS = 6).

Dans tous les cas, l'angio-CT-scanner cérébral réalisé initialement ne révéla ni signe ischémique précoce ni thrombus intra-vasculaire. La résonance magnétique cérébrale à plus de 48 heures révéla quant à elle une lésion ischémique installée sur plus de 50% du territoire de l'ACM gauche dans un cas et de multiples lésions ischémiques installées dans le territoire de l'artère cérébrale postérieure dans un autre.

La prévalence d'AVC ischémiques péri-coronarographie est donc de 0,72 % dans notre série si nous incluons la patiente ayant présenté un syndrome de Tako-Tsubo et de 0,60 % sinon. Dans les deux cas ces valeurs sont significativement plus élevés que les plus élevées des prévalences publiées antérieurement (z > 1,64). (cf Table 1)

Table 1

 

Z-score [1]

Série

Nombre de patients

Nombre d'AVC ischémiques (P)

Pour p = 0,6%

Pour p = 0,72%

Akkerius et al.

8555

19 (0,22%)

2,069

2,669

Fuschs et al.

9662

21 (0,22%)

2,138

2,756

Dukkipati et al.

20679

43 (0,21%)

2,359

3,048

[1] Pour un seuil de signification alpha fixé à 5%, le score z doit être supérieur à 1,64 pour pouvoir rejeter l'hypothèse selon laquelle p < P et pouvoir adopter l'hypothèse selon laquelle p > P

Table 2 

Patient

Age

S

FRCV

Indication coro

et résultat

Lieu de survenue de l'AVC

NIHSS initial

NIHSS à 48 h

mRS à 3 mois

1

76

F

Diabète

HTA

FEVG <45%

Hyperchol.

Age

Diagnostique

(dégradation CM)

 

Normale

Salle de coro

4

0

0

2

70

M

HTA

Hyperchol.

Age

Diagnostique (angor)

 

Normale

Salle de cardiologie

 

2 h post-coro

3

0

0

3

78

F

HTA

Age

Urgente

(suspicion STEMI)

 

Normale

Unité coronaire

 

J5 post-coro

17

19

 

 

6

4

65

M

Coronopathie

Hyperchol.

Diagnostique (angor)

 

Lésions tritronculaires

Salle de coro

2

1

 

1

5

68

M

HTA

Ethylo-tabagisme

Artériopathie périphérique

Diagnostique (angor)

 

Occlusion coronaire droite

Salle de coro

 

0

0

0

6

76

M

Coronopathie

HTA

Hyperchol.

Age

Diagnostique (douleurs thoraciques atypiques)

 

Occlusion IVA connue, pontage fonctionnel

Salle de cardiologie

 

3 h post-coro

0

0

0

7

28

F

Aucun

Diagnostique (douleurs thoraciques atypiques)

 

Normale

Salle de cardiologie

 

3 h post-coro

0

 NA

 NA

S : sexe, F : féminin, M : masculin, HTA : hypertension artérielle chronique, coro : coronarographie, FEVG : fraction d'éjection ventriculaire gauche, Hyperchol. : hypercholestérolémie, IVA : artère interventriculaire antérieure, STEMI : infarctus myocardique avec élévation du segment ST

Table 3

Patient

Angio-CT-scanner cérébral

Résonance magnétique cérébrale

1

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Pas de lésion récente

2

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Pas de lésion récente

3

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Lésion ischémique récente étendue sur plus de 50% du territoire de l'ACM gauche

4

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Lésions ischémiques récentes multiples dans le territoire de l'ACP

5

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Pas de lésion récente

6

Pas de lésion

Vaisseaux perméable

Pas de lésion récente

7

Non réalisé

Non réalisée

Discussion

Cette étude présente plusieurs limitations. Il s'agit d'une étude observationnelle ne permettant pas d'évaluer l'efficacité de la prise en charge. En outre, parmi les patients ayant subi une coronarographie, seuls ceux suspects d'AVC aux yeux d'autres membres du personnel soignant ont été examinés par un neurologue. De ce fait, des AVC mineurs ou rapidement résolutifs ont pu être manqués.

Il nous a néanmoins été possible d'établir une prévalence (0,72 %) d'AVC ischémiques significativement plus élevée que les séries publiées antérieurement (0,21 à 0,22%). Ceci s'explique probablement par l'augmentation de la prévalence des facteurs de risque cardio-vasculaires au sein d'une population vieillissante et par une attention accrue de nos cardiologues face à des symptômes parfois peu spécifiques et transitoires.

La revue de la littérature plaide quant à elle pour une attitude résolument interventionnelle. Notre étude mettant en évidence le décès d'un de nos patients et la persistance de séquelles chez un autre tend à nous conforter dans la prise en compte de ces recommandations.

En conclusion, il nous apparaît nécessaire d'abandonner l'attitude conservatrice au profit de la mise en place de procédures standards, incluant cardiologues, neurologues et neuroradiologues afin de permettre l'accès rapide aux moyens diagnostiques et thérapeutiques adéquats, incluant recanalisations médicamenteuses et mécaniques.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD

Références

1. Kelley et al., Mechanism of in-hospital cerebral ischemia, Stroke, 1986

2. Hamon et al., Periprocedural Stroke and Cardiac Catherization, Circulation, AHA, 2008

3. Hamon et al., Cerebral microembolism during cardiac catheterization and risk of acute brain injury : a prospective diffusion-weigted magnetic resonance imaging study, Stroke, 2006

4. Bladin et al, Transcranial doppler detection of microemboli during percutaneous transluminal coronary angioplasty, Stroke, 1998

5. Leclercq et al, Transcranial Doppler detection of cerebral microemboli during left heart catheterization, Cerebrovasc Dis, 2001

6. Akkerhuis et al., Risk of stroke associated with abciximab among patients undergoing percutaneous coronary intervention, JAMA, 2001;286: 78–82

7. Fuchs et al., Stroke complicating percutaneous coronary inter- ventions: incidence, predictors, and prognostic implications. Circulation, 2002;106: 86 –91.

8. Dukkipati et al., Characteristics of cerebrovascular accidents after percutaneous coronary interventions, J Am Coll Cardiol, 2004;43: 1161–1167.

9. Lazar et al., Predisposing risk factors and natural history of acute neurologic complications of left-sided cardiac catheterization, Am J Cardiol, 1995;75: 1056 –1060.

10. Wong et al., Neuro- logical complications following percutaneous coronary interventions: a report from the 2000 –2001 New York State Angioplasty Registry, Am J Cardiol, 2005;96: 1248 –1250.

11. Karalis et al, Risk of catheter-related emboli in patients with atherosclerotic debris in the thoracic aorta, 1996, Am Hearth J

12. Hamon et al, Risk of acute brain injury related to cerebral microembolism during cardiac catheterization performed by right upper limb arterial acces, Stroke, 2007

13. Keeley et al, Scraping of aortic debris by coronary guiding catheters : a prospective evaluation of 1000 cases, Am Coll Cardiol, 1998

14. Janjua et al., Endovascular treatment of acute ischaemic stroke. Lancet Neurol, 2007

15. Lyden, Code stroke in the cath lab. J Am Coll Cardiol, 2008

16. Adams et al., Guidelines for the Early Management of Adults With Ischemic Stroke, Stroke, 2007