Ischémie aiguë des membres inférieurs

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Une ischémie aiguë des membres inférieurs est une souffrance tissulaire aiguë induite par une diminution brutale et critique de l'apport sanguin en oxygène. Elle peut résulter d'une occlusion artérielle ou, plus rarement, d'une thrombose veineuse profonde étendue (phlegmatia cerulea dolens).

Il s’agit d’une urgence médico-chirurgicale. La mortalité est d’environ 25% (augmente avec l’âge).

Etiologies

  • EMBOLIES (40-50%) : les territoires les plus touchés sont les bifurcations fémorale > poplitée > aorto-iliaque
    • Origine cardiaque (80-90%)
      • 70% : sur FA, svt dans contexte de cardiopathie ischémique
      • 20% : suite à infarctus myocardique (svt dans les 15j)
      • Anévrysme cardiaque, endocardites bactériennes, tumeur cardiaque, thrombose de valves mécaniques, cardioversion,…
    • Origine extra-cardiaque (5 - 10%)
      • Anévrysmes (aorte abdominale, iliaque, poplité, sous-clavier, axillaire), athérosclérose ulcérée ou végétante, prothèse thrombosée, embolie paradoxale, embolie septique, complication d’un cathétérisme artériel, tumeur de l’aorte (exceptionnel),…
    • D’origine restant inconnue (5-10%)
  • THROMBOSES ARTERIELLES (50-60%)
    • Occlusion d’artères athéromateuses +++
    • Thromboses d’anévrysmes ++ (poplité > fémoral > iliaque > aortique)
    • Thrombose de pontage
    • Iatrogène (ergotisme, oestro-progestatifs au long cours,… + allergie à l’héparine)
    • Compression extrinsèque (artère poplitée piégée, kyste poplité, syndrome des loges, tumeurs,…)
    • Artérites (Takayasu, PAN, Buerger, sclérodermie,…)
    • Etats d’hypercoagulabilité (syndrome myéloprolifératif, néoplasie, LED, déficits en facteurs de l’hémostase)
  • AUTRES CAS :
    • Traumatisme vasculaire
    • Dissection aortique (compression de l’orifice artériel par le faux chenal)

Diagnostic clinique

Ischémie des membres inférieurs - sémiologie clinique

= établir le diagnostic, établir le niveau d’occlusion, évaluer le degré d’ischémie.

Le diagnostic est avant tout clinique : « les 5 P » :

  • Pain (douleur intense de début brutal localisée au groupe de muscle en aval de l’occlusion)
  • Paresthésies (atteinte des vasa nervorum)
  • Paralysie
  • Pâleur (membre pâle et froid)
  • Pas de pouls distaux

!! Les signes neuros sont inconstants, peuvent être d’apparition retardée, et témoignent de la sévérité de l’occlusion. Les paresthésies, la diminution de la sensibilité au tact fin et l’atteinte proprioceptive sont les premières atteintes. Il faut également rechercher une parésie et une diminution/ abolition des ROT. L’abolition de la sensibilité à la douleur et la paralysie complète sont des signes tardifs.

En outre, une stase veineuse (lividités) peut apparaître, susceptible d’induire le clinicien en erreur (DD : TVP).

Examen clinique :

  • Examen vasculaire complet (ne pas oublier la pulsatilité des iliaques externes, apprécier le pouls capillaire en surélevant les 2 pieds… attention aux pulsatilités transmises ! Les pouls en amont de l’occlusion peuvent être augmentés, noter le niveau où le MI devient pâle et froid) à déterminer le niveau de l’occlusion, y compris la pulsatilité des art axillaires et la TA aux 2 bras (pour pontage axillo-fémoral éventuel)
  • Apprécier la possibilité d’une ischémie mésentérique lors de l’examen abdominal et de l’anamnèse
  • Examen neuro : sensibilité, motricité et ROT !
  • Aspect des téguments

Examens complémentaires pré-thérapeutiques

!!! ne peuvent retarder la mise en œuvre d’un tt jugé urgent (classes 2b/3)… en particulier pour l’artériographie qui peut être difficile à obtenir… voir même pour l’écho-doppler.

Systématiques

  • Biologie
    • Numération et formule, glycémie, iono, fonction rénale, myoglobinémie, CK, groupe ABO et Rh, recherche d’agglutinines irrégulières, fonction de coag (y compris INR et fibrinogène)
  • Electrocardiogramme
  • Echo-doppler des MI +- étendue au reste de l’arbre vasculaire
    • Degré d’ischémie, siège de l’occlusion, recherche d’une source de thrombose (anévrysme ou piège) ou d’emboles (AAA,…)

Non systématiques

  • Artériographie conventionnelle
    • En cas de revascularisation jugée urgente, l’artériographie peut être pratiquée en per-opératoire. En cas de thrombose sur pontage on peut se fier à l’imagerie récente.
    • Aide à la revascularisation, au diagnostic étiologique, visualisation d’éventuels emboles latents
    • De peu d’intérêt devant une anamnèse typique d’embolie sur artères saines avec absence de pouls fémoraux (probable embolie du carrefour aortique sur cardiopathie)

Classification de Rutherford

Classe 1 : MI viable sans intervention thérapeutique

Classe 2 : revascularisation nécessaire pour la viabilité du MI

  • 2a : revascularisation pouvant être différée (ischémie subaiguë)
  • 2b : revascularisation devant être immédiate !

Classe 3 : ischémies dépassées (membre condamné)

Diagnostic étiologique

Il faut essayer autant que possible d’effectuer une première orientation étiologique (embolique ou thrombotique ?) sur base clinique afin d’orienter les examens complémentaires et le traitement. Le reste de la démarche est à effectuer après traitement.

Origine embolique

L’origine la plus fréquente (90%) est cardiaque à rechercher une FA resinusalisée, un infarctus récent, une EP massive récente et foramen ovale ouvert,… à ECG + Echo cœur

10% des embols ne sont pas d’origine cardiaque à rechercher un anévrysme abdominal/ poplité, une sténose ilaque/ artère fémorale superficielle à en l’absence d’évidence cardiaque : Echo aorte abdominale/ fémoro-iliaque

Toujours rechercher (clinique et anamnèse) un autre site ischémique : ischémie mésentérique et AVC.

Les thromboses artérielles emboliques ressortent en général de la classe 2a (intervention différée).

Thromboses artérielles sur artérites

Rechercher à l’anamnèse une AOMI connue, une notion de claudication intermittente à effectuer un bilan d’AOMI (index bras-cheville,…)

Ressortent généralement des classes 1 ou 2a (car une collatéralisation artérielle s’est souvent déjà développée).

Thrombose d'un pontage

Suggérée par l’anamnèse. Leur fréquence est en augmentation. Leur sévérité est très variable : 2a/ 2b/ 3

Thrombose sur anévrisme poplité

Se baser sur la clinique et une écho du creux poplité. Toujours grave : classe 2b/ 3

Thrombose post-traumatique

La clinique et l’anamnèse sont généralement concluantes. Concernent principalement : art fémorale superficielle, poplitée, (rarement les art jambières). Classe 2b/3

Prise en charge thérapeutique - Traitements - urgence médico-chirurgicale jusqu'à preuve du contraire

Le traitement doit être commencé dans les 6 heures (limite quant à l’apparition de lésions musculaires et nerveuses irréversibles). Transfert en chir vascu le plus rapidement possible. Schéma de traitement à déterminer selon la clinique, éventuellement l’imagerie et selon l’expérience des chirurgiens.

L’embolectomie par sonde de Fogarty reste le traitement de référence. Le pontage chirurgical (veineux ou artificiel) est pratiqué en cas de terrain artériel pathologique ou en seconde intention. L’amputation est réservée aux évolutions défavorables ou réalisée d’emblée en cas d’ischémie dépassée ou de menace quant au pronostic vital. La place de la fibrinolyse intra-artérielle en alternative à la chir est discutée. Les conclusions en termes de morbi-mortalités des études comparatives sont contradictoires. Retenons que, pratiquée par un radiologue expérimenté, elle présente un intérêt indiscutable dans le cas des thromboses fraîches des pontages et que le taux d’AVC secondaire est de 2-3%.

Traitement médical immédiat

A faire systématiquement dès le diagnostic posé :

  • Anticoagulation
    • Héparine (non fractionnée !) à doses thérapeutiques : bolus de 80 UI/kg (~5000UI) puis 18UI/kg/h
    • Contrôler l’APTT 6h après début du tt à ajuster le débit pour un APTT compris entre 65 et 90 sec
  • Aspirine 100mg/j, (statines)
  • Vaso-dilatateurs (++ si artéritique)
  • Morphiniques
  • Correction des troubles hydro-électriques et d'une acidose métabolique (++ si troubles importants et état clinique de (pré-) choc)
  • Autres mesures symptomatiques

Traitement chir à envisager selon la classe

Classe 3

L’AMPUTATION MAJEURE D’EMBLEE s’impose généralement (ischémie dépassée, en particulier en cas de menace du pronostic vital). Dans certains cas (persistance d’un axe artériel distal, prise en charge rapide, absence d’IR, pas de menace vitale immédiate) on peut tenter une revascularisation chirurgicale avec aponévrotomies et lavage de membres.

Classe 2b

  • Si nécessaire on recourra à une angiographie perop
  • Thrombose par embolies sur artères saines : embolectomies étagées
  • Idem sur terrain artéritique (le plus fréquent) : pontage chir (ou tenter d’abord embolectomie)
  • Thrombose d’un pontage/ d’un anévrysme poplité/ sur traumatisme : pontage chir d’emblée

Classe 2a

  • Angiographie préalable à la chir
  • Thrombose par embolie : embolectomie (ou tenter d’abord fibrinolyse)
  • Thrombose sur artérite : pontage chir (ou tenter d’abord embolectomie)
  • Sur maladie thrombo-embolique : pontage chir (ou tenter d’abord embolectomie)
  • Thrombose sur pontage : pontage chir

Classe 1

  • Discuter de la nécessité d’une angiographie
  • Optimiser le traitement héparinique
  • En cas d’embol sur artère saine on peut envisager une embolectomie

Complications

Nécroses - ischémies dépassées

Les nerfs et les muscles résistent ~6h à l’ischémie sévère, la peau 24h

Hyperkaliémies et arythmies

Hyperkaliémie sur lyse cellulaire à risque de troubles cardiaques.

Insuffisance rénale aiguë

A rapprocher de l’IRA lors des rhabdomyolyses… par libération de myoglobine (nécrose tubulaire aiguë) ?

Troubles pulmonaires et cérébraux

Par libération de divers facteurs : agrégats plaquettaires, facteurs procoagulants, cytokines inflammatoires,…

Autres sites ischémiques

Ils sont toujours à rechercher, particulièrement en cas de thrombo-embolie. Fréquence significative d’ischémie mésentérique et d’AVC associés.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD