"Certificats de non admission" ou "vus et soignés"

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Des "vus et soignés" et "certificats de non admission"

Il est devenu fréquent, voire banal, que, lors d'une arrestation, la police présente le sujet interpellé à un service d'urgence pour qu'il soit examiné. Cette procédure est généralement réalisée dans le but d'obtenir un certificat (désigné habituellement sous le vocable "vu et soigné" en Belgique et "certificat de non admission" en France) dégageant les officiers de toute responsabilité en cas de survenue d'un problème médical dans leurs locaux.

Dans ce cadre, les médecins sont fréquemment confrontés à des exigences abusives des officiers de police (bien souvent, en Belgique, c'est la présentation du patient en elle-même qui est abusive). A ces pressions policières, se conjuguent souvent la fatigue de la garde, une formation inexistante à cette problématique des jeunes médecins assurant les urgences, la confusion entre ces situations et de véritables réquisitions judiciaires, une attitude inappropriée voire agressive du patient, des pressions du nursing, généralement ignorant des dispositions légales et désireux de "faire avancer le travail", et/ ou de l'institution hospitalière. Or, seule la responsabilité légale du médecin signataire sera engagée en cas de survenue d'un problème médical ou d'une plainte du patient. Rappelons que plusieurs décès sont survenus ces dernières années dans ce cadre.

Il s'agira donc pour le médecin de veiller au respect des droits du patient et de prendre en charge d'éventuelles problématiques médicales tout en répondant aux exigences légales propres à ces situations.

La situation en Belgique

Ces situations deviennent particulièrement fréquentes à Bruxelles (jusqu'à plusieurs présentations par nuit dans un hôpital du centre-ville) lors des "arrestations administratives". Il est donc nécessaire de rappeler que :

  • Quelles que soient les conditions d'arrivée d'un patient, un médecin ne peut refuser des soins en cas d'urgence médicale
  • Seul un magistrat peut effectuer une réquisition d'un médecin suite à une arrestation, qu'elle soit administrative ou judiciaire. Les officiers de police n'ont aucun pouvoir de réquisition dans ce cadre, le pouvoir de réquisition d'un médecin par des officiers de police se cantonnant au prélèvement sanguin en cas de signes d'intoxication éthylique lors d'accidents de roulage (Arrêté Royal du 10/06/1959).
  • Hors réquisition émanant d'un magistrat, la loi prévoit en cas d'arrestation administrative que "toute personne a le droit subsidiaire à un examen médical par le médecin de son choix" (loi du 5/08/1992 "sur la fonction de police"). Il doit donc s'agir impérativement d'une demande émanant du patient, en aucun cas des officiers de police.
  • En cas d'arrestation judiciaire, toute procédure doit par définition être sous la responsabilité d'un magistrat. Il en va de même pour tout patient mineur.
  • Les frais du passage aux urgences sont portés à charge du patient.

Dans tous les cas de figures le respect des règles déontologiques et des impératifs médicaux s'impose :

  • Le patient doit donner son consentement éclairé pour toute procédure jugée nécessaire, y compris son examen clinique. Un "consentement" obtenu sous pression ou menaces de la police n'est pas acceptable. En cas de refus ou de procédure non réalisable du fait de l'agressivité du patient, il signe une décharge ou son refus est consigné dans le dossier médical devant témoins.
  • Un rapport médical habituel doit être rédigé. En cas de lésion traumatique, comme à l'habitude, un constat de lésion doit être dressé, idéalement par un chirurgien ou un urgentiste.
  • Les procédures médicales doivent être réalisées dans les meilleures conditions possibles (en particulier, l'examen clinique doit idéalement se faire déshabillé, sans menottes et en dehors de la présence des officiers de police), sous réserve qu'elles ne mettent pas en danger le médecin ou des tiers. Il revient au seul médecin de juger de ces conditions.
  • Tri selon des critères médicaux (la police ne doit pas "passer devant" un cas plus urgent), prise des paramètres, glycémie au doigt, anamnèse et examen clinique habituels avec une attention particulière aux antécédents (psychiatriques, épilepsie, diabète, asthme), au traitement habituel, notion de trauma, consommation de toxiques,...
  • En cas d'intoxication, le patient doit bénéficier des examens habituels (ex : glycémie veineuse et éthanolémie en cas d'intoxication éthylique) s'il y consent
  • Toute problématique médicale ou chirugicale identifiée à l'examen clinique ou l'interrogatoire doit être prise en charge de façon habituelle, y compris les indications d'hospitalisation. En cas de doute quant à l'évolution du patient (attention particulière aux intoxications - hypoglycémies, encéphalopathies de Wernicke, troubles neurologiques ou cardio-vasculaires, imprécision sur les traitements), ne pas hésiter à garder le patient en observation aux urgences.
  • Le secret médical ne peut être levé dans ce cadre :
    • Un certificat contenant des données relevant du secret médical, un constat de lésion ou une copie du rapport médical ne peuvent être remis qu'au seul patient, à sa demande.
    • Aux policiers, et uniquement sur réquisition d'un magistrat ou à la demande du patient, peut cependant être remis un simple certificat attestant qu'après avoir interrogé et examiné le patient, il n'y a pas de motif d'hospitalisation ou, au contraire, qu'une hospitalisation a été jugée nécessaire. Il vaut mieux s'abstenir de toute autre considération.
    • De façon tout à fait inacceptable (à refuser systématiquement et consigner ces demandes et les réponses dans le dossier médical), il n'est pas exceptionnel que des officiers de police réclament un certificat attestant :
      • Que le patient a été "vu et soigné"
      • Que "le patient peut être incarcéré" ou que "il n'y a pas de contre-indication médicale à une incarcération"
      • Que le patient "peut ne pas recevoir son traitement" habituel ou le recevoir à un horaire inhabituel. Une variante étant la demande que soit administré au patient un équivalant "one shot" de son traitement aux urgences
        • Rappeler dans ce cas aux officiers de police qu'il est de leur seule responsabilité de s'assurer que le patient puisse prendre son traitement de façon appropriée
        • En cas de refus des officiers de police et si l'importance du traitement le justifie, garder le patient en observation ou contacter le magistrat de garde
  • Dans le cas d'un patient présentant à l'évidence des troubles psychiatriques ou connu pour de tels troubles, demander systématiquement l'évaluation par un psychiatre.

    En cas de désaccord avec les officiers de police, il ne faut pas hésiter à contacter le magistrat de garde si jugé nécessaire.

La situation en France

L'attitude est la même que pour la Belgique à deux distinctions notables près :

  • La loi (circulaire du 9 octobre 1975) prévoit que toute personne arrêtée en état d'imprégnation éthylique sur la voie publique doit bénéficier d'un "examen médical dans un hôpital" (le consentement du patient est évidemment nécessaire) et qu'il soit remis aux forces de l'ordre un "certificat de non admission" s'il n'y a pas d'indication d'hospitalisation.
  • La loi (loi du 4 janvier 1993) prévoit que toute personne en garde à vue est en droit d'être examinée par un médecin à sa demande mais qu'un médecin peut également être désigné par le procureur ou un officier de police judiciaire pour ce faire. Dans ces derniers cas, si le détenu consent à l'examen, il doit établir un certificat quant à l'aptitude ou non du détenu d'être maintenu en garde à vue.

Le cadre légal français est donc plus précis qu'en Belgique. Il engage cependant plus la responsabilité du médecin puisqu'il doit dans le cas des gardes à vue se prononcer non seulement sur l'indication d'une hospitalisation mais également sur l'aptitude du patient à supporter les conditions d'une garde à vue, conditions qui ne dépendent pas de sa personne. Rappelons qu'en cas de doute, un médecin de garde peut légitimement garder le patient en "hospitalisation provisoire" aux urgences pour réévaluation avant de se prononcer.

Les problématiques médicales

Le patient peut bien entendu présenter incidentellement n'importe quelle condition médicale. Cependant, certaines sont plus spécifiques à ce contexte :

  • Les traumas, qu'ils soient dû aux circonstances précédant l'interpellation ou à l'interpellation elle-même. Une attention particulière doit être accordée aux indices de traumas crâniens.
  • Les intoxications éthyliques et à diverses drogues et leurs complications. Concernant les premières, garder à l'esprit que le patient est fréquemment présenté durant la "phase montante", avant le pic, de l'éthanolémie.
  • La médication habituelle du patient, ses indications et l'heure de la dernière prise (anti-coagulants, anti-diabétiques, anti-épileptiques, anti-arythmiques,...).

Tout état de confusion ou de somnolence justifie une mise au point complémentaire et/ ou une observation.

Auteur(s)

Dr Shanan Khairi, MD

Bibliographie

Legifrance, Circulaires ministérielles du 16 juillet 1973 et du 9 octobre 1975 relatives aux admissions des sujets en état d'ivresse dans les Services Hospitaliers

Legifrance, Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale

Moniteur Belge, 17 novembre 1808 - Code d'instruction criminelle - Livre premier (Art. 8 à 136ter)

Moniteur Belge, 10 juin 1959 - Arrêté royal relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l'alcool et fixant la date de l'entrée en vigueur de la loi du 15 avril 1958 modifiant le Code d'instruction criminelle, la loi du 1er août 1899 portant révision de la législation et des règlements sur la police du roulage et l'arrêté-loi du 14 novembre 1939 relatif à la répression de l'ivresse.

Moniteur Belge, 5 août 1992 - Loi sur la fonction de police

Ordre des Médecins, Conseil du Brabant d'expression française, Bulletin de septembre 2005, Certificats requis par l'autorité pour des patients privés de leur liberté